On se disait bien qu’un jour ou l’autre, Dominique A allait nous tomber sur le coin de la gueule. On suivait son parcours musical depuis quelques années, avec des impressions multiples : potentiel énorme, talent certain mais un peu latent, respect devant la gravité du bonhomme et des thèmes abordés -déjà- en dépit d’une image publique légère, énervement devant certaines imprécisions -le son, le son ; heureusement, il y avait déjà aussi les prestations scéniques pour démentir la mollesse du studio-, une certaine attitude dont on ne savait si c’était de la timidité, de la matière -encore- en pleine maturation ou de la mièvrerie. Mais bon, on s’était dit : le Dominique A, le jour où il explose -si ça explose, on n’est quand même pas Madame Soleil-, attention aux dégâts et aux débris de génie.

Quatre ans de silence -occupé, collaboration avec Yann Tiersen, tournées, production, création (eh oui, ça prend du temps)- et un retour fracassant avec ce Remué. D’ailleurs, ce titre, l’a-t-il choisi pour ce qu’il pouvait avoir de signification personnelle ou, sûr de son fait, pour l’effet que l’album allait avoir sur l’auditeur ?
Dès l’ouverture, Comment vivent certains, on sent bien que quelque chose va se passer, que Dominique A a évolué, que le texte, sa passion -même si la mise en musique est son pendant indissociable-, va avoir la part belle. Il y a ses thèmes récurrents -le souvenir et la nostalgie dont il dit lui-même qu’il les « amalgame », l’introspection des sentiments amoureux, la culpabilité, le regret et l’amertume, la perception des autres, enfin presque tout le spectre des rapports humains et des sensations passés au crible de l’émotion. Bref, les textes, plus encore qu’auparavant, sont forts, très forts (Je suis une ville, Ma vieille tête, Le Détour).
Ce qui l’est plus encore, c’est qu’ils s’offrent dans des écrins sonores d’une rare intelligence, d’une richesse merveilleuse et d’une justesse qui ne souffre pas la contradiction. On savait Dominique A versé dans la sobriété et l’efficacité d’effets savamment distillés, presque discrets. On savait moins qu’il pouvait à ce point élargir sa palette sonore. Pas simplement jusqu’à nous étonner, mais carrément jusqu’au bord de l’ahurissement. Et non seulement sa science des arrangements s’exprime-t-elle avec une belle précision –Encore, Tu vas voir ailleurs, Retrouvailles-, mais encore trouve-t-elle l’élégance de ne pas s’imposer avec vanité. Si l’on retrouve ces lignes presque claires, fluettes, qui ont fait pour partie sa renommée -quoique, comme dit précédemment, l’expérience du concert les mettait à mal-, on a également droit à des nouveautés : un background sonore fait d’entrelacs d’instruments classiques et de samples magnifiquement dosés, des basses minimalistes mais rugueuses, voire grondantes, des guitares maîtrisées mais néanmoins poussées à la limite de l’épuisement, pour des morceaux où, finalement, la mélodie s’échappe comme par miracle, maltraitée qu’elle a été. Attention, elle n’est pas pour autant mise au rancart, seulement, jamais elle ne s’offre avec facilité. Mais quand elle finit pas s’imposer, sa force est décuplée.

Ce n’est pas la moindre des qualités de Remué, que ce niveau d’exigence insensé imposé par Dominique A à ses compositions, cette contrainte omniprésente qui n’est autre que l’excellence, asservie au profit d’une écriture moderne mais qu’on pressent quasiment intemporelle, car unique. Pour prendre des comparaisons proches du bonhomme, on dira : la richesse instrumentale de Yann Tiersen, l’effronterie formelle et l’esprit de contradiction de Diabologum, la puissance poétique de Brel -osons.
Le résultat, lui, formidable, n’appartient qu’à Dominique A Alors Dominique, laisse-moi te dire un bon truc : tu m’as foutu sur le cul, et rien que pour ça, je te colle un bon A+.