Les gens de BBE ont énormément de bon goût ; c’est pourquoi, quand ils sortent des disques, compilations d’oldies funk ou albums de nouveautés hip-hop, ils choisissent toujours des gens dans leur style pour les faire : Kenny Dope, Pete Rock, Dj Jazzy Jeff, vous voyez le genre… Ou maintenant, Dj Spinna, qui vient compléter avec Here and there la série « The Beat generation » qu’avait inaugurée il y a deux ans Jay Dee.

Après avoir bénéficié d’une petite hype underground pendant la seconde moitié des années 1990, notamment en Europe, Dj Spinna s’était un peu fait oublier ces derniers temps. Non pas parce qu’il aurait disparu des bacs, mais plutôt à cause de cela : deux LPs moyens (le tout juste bon Polyrhythm addicts en 1999, le franchement décevant Jigmastas en 2001), dont au moins un de trop. Et c’est donc sans réelle attente que l’on a retiré ce CD de sa cellophane, afin de voir ce qu’il restait de Spinna aujourd’hui. Eh bien pas mal de choses. D’abord parce que Spinna n’a rien perdu de ses talents de crate-digger : ce LP est, de toute évidence, l’oeuvre d’un vinyl addict, et plus d’un 33 tours à la pochette de carton fort ont dû tourner sur la platine de Spinna pendant la réalisation de ce disque. Les trois premiers morceaux laissent d’ailleurs espérer le meilleur -un breakbeat funk du meilleur aloi (Alfonso’s thang), suivi par le vocoder 80’s de Drive et par 5 secondes du Flavor Flav de 1988 sur Hold– et on se réjouit déjà d’avoir retrouvé Dj Spinna sous d’aussi bons auspices. Surtout qu’on avait repéré un peu plus loin sur le track-listing une version unplugged du semi-classique Rawkus Rock, qui s’avère effectivement excellente, jouée à la Breakestra par Tortured Soul.

Hélas, avant d’y arriver, il aura fallu singulièrement ralentir le pas, avec ces rythmes lents, mâtinés de pianos ou d’orgues Hammond apathiques, où passent de temps en temps des saxophones languides et quelques scratches discrets. Nu-soul, répondront les plus indulgents ; ils auront tort. C’est surtout le rare groove transparent des années 80, et son bâtard embourgeoisé l’acid-jazz des années 90 qu’évoquent la plupart de ces morceaux. Et ce n’est pas une très bonne chose ; ainsi, tous ceux qui n’ont jamais été déçu après avoir acheté un disque des Brand New Heavies au début des années 1990 pourront eux aussi faire cette expérience peu intéressante, le temps de quelques titres. Ce faisant, on aura également passé cette phase d’ennui plus ou moins longue que recèlent tous les albums de la série « Beat Generation » à force de bon goût. En effet, remis en scelle par l’instrumentation live de Rock, Dj Spinna retrouve ensuite son dynamisme : le tempo ne fait que s’accélérer jusqu’à la fin de l’album. Ca commence par les diatribes de The Bedouin sur fond de bombes qui explosent et de guitares vaguement hendrixiennes, ça se poursuit avec la soul syncopée de Glad you’re mine et Love is sold, jusqu’à cet interlude qui prépare les oreilles les moins averties : oui, c’est bien un morceau de house vocale qu’ose Spinna avec Music in me (Come alive). Ce n’est donc pas en vain que les MAW sont remerciés dans les crédits de l’album -même si, en l’occurrence, c’est plutôt à Mr. Fingers et Robert Owens que Spinna et Shaun Escoffery font penser. L’affaire se termine ensuite consensuellement par une célébration des tam-tams de l’Afrique (The Originator).

Au final, donc, on obtient un album honorable et subtil, ce qui constitue plutôt une bonne surprise. Mais qui donne surtout l’envie, une fois qu’on l’a écouté, de mettre sur sa platine un vieux 2 Live Crew, ou un récent 45 tours des Yeah Yeah Yeahs, et de sauter comme un con autour des enceintes en gueulant des conneries. Histoire de se rappeler que la musique qu’on aime n’est pas uniquement une affaire de bon goût.