A la face de ceux qui s’attendaient à un album instrumental, à quelques instrus d’un bon hip-hop velouté qu’on écouterait dans son salon, Kheops lance un pavé de rap plutôt explicite. Un rap de rue bruyant et coléreux, animé par la clique marseillaise du studio Sad Hill augmentée de quelques flows ramassés entre Bordeaux et Paris : Tony & Paco, Akhenaton, Busta Flex, Ol’Kainry, les Mc d’As Da Sauce, Puissance Nord ou encore Carré Rouge et Opee (dernièrement signé chez Secteur A). Tout en réactualisant le rôle primordial et incontournable de producteur dans la culture hip-hop, Kheops pose d’entrée ce travail de Dj comme indissociable de celui des rappeurs qui l’entourent.

Loin d’être simpliste, à l’image de celle qui sort de la boîte de quelques prétendus producteurs, sa musique résulte d’une composition fine et attentive. Au rythme trépidant d’une bonne dizaine de samples par morceaux, le producteur s’attache à suivre musicalement la tension des flows qui se posent sur sa musique, en rajoutant çà et là quelques triples croches de piano pour ponctuer autant ses phrases musicales que les phases du rappeur (Ferme ta gueule), ou quelque break de batterie pour marquer les structures (Croire en qui). En lieu et place d’une succession de « moments », cette composition participe à la création d’atmosphères, tantôt mélancoliques, tantôt tristes, tantôt glauques ou oppressantes, qui planent derrière les flows. Les violons saccadés qui habillent un Ferme ta gueule lorgnant volontiers vers le two step, les stridences électroniques qui portent Akh et Busta Flex sur J’ai plus d’air, ou le piano en demi-teinte sur Comment tu marches, sont les plus parfaits exemples de cette alchimie discrète.

Mais, en dépit d’un effort évident sur les rythmiques, dont les motifs s’étalent parfois sur huit mesures, le son de Sad street reste un peu trop sec, elliptique de tout feeling au profit d’une carcasse électronique étroite. Les quelques syncopes qui parsèment les titres, notamment sur On ne triche pas, restent calculées par un cerveau électronique froid qui ne parvient pas à imprimer au beat un balancement souple. Si Kheops nous avait habitué à des productions hors du commun, notamment sur les premiers albums d’IAM, ces rythmiques dures et millimétrées, emblématiques de la production phocéenne, tendent à le fondre dans la masse. Si le son est un peu décevant, en revanche, Sad street a le mérite d’exposer au grand jour la richesse et la variété d’une nouvelle génération de flows français. A l’exception de Ill, transfuge des X-Men qui, curieusement, se répand ici en petites rimes sur sa personne (« Vas-y, j’kiffe ma race gars/Et puis j’kiffe la night/… »), Sad street compile une bonne dose de flows rigoureux. Les Mc d’As Da Sauce, épaulés par les invectives coléreuses et nasillardes de Noellie, se passent le micro sur Comment tu marches avec l’aisance qui les caractérise, Opee, aux accents « freemaniens » se pose aux côtés de Carré Rouge pour un manifeste urbain aiguisé (Croire en qui), et Tony et Paco, les deux protégés de Kheops déjà remarqués sur diverses compilations (Marseille Connexion, Sad Hill Impact), laissent présager avec Ame sereine un avenir radieux pour le hip-hop marseillais.
Au final, original mais sans plus, Sad street reste représentatif d’une production française qui a un peu tendance à s’autoreproduire.