Denis Fournier, batteur et compositeur très actif dans le sud de la France -tout particulièrement en Languedoc-, mène, depuis plus de quinze ans, de fort intéressantes aventures où domine l’idée d’une certaine « solarité » de la musique. Brassage, conversation sont d’évidence les maîtres mots de cet homme pour qui l’exogène est denrée première. Conte, aussi, tant Fournier, musicien-vocaliste jouant du spectre entier des mémoires méridionales, se rangerait volontiers à la belle figure du griot : invention, légèreté, emballements aux franges de l’humour, sagesse encore mais surtout fécondité constante, plasticité sans réserve de la parole le tiennent et l’identifient. De cela nous réassurait, l’année passée, un album en solo stimulant, tout de chair et tension : La Voix des tambours. De cela Chagarandah se montre, en son parti même de resserrement, de recentrement sur la périlleuse formule du trio saxophone / basse / batterie (elle qui, en jazz, « n’est pas le monde du pardon »…), un temps d’excellence. Monté, rythmé, réfléchi, croisant au plus loin de la démonstration (ah, le terrible « fier-à-brasisme » des batteurs, lorsqu’ils s’y mettent ! -et, c’est si heureux-, Denis Fournier n’est pas Billy Cobham), laissant plain-chant à des voix en belle empathie (Bernard Santacruz, à l’à-propos souvent si peacockien ; Lionel Garcin, alertant déjà pour son sens de l’espace, sa singularité de timbre et une sorte de pondération pugnace qui vite fera sa marque), le disque se place sous l’invocation d’Ayler : « Nous sommes, rappelle-t-il, la musique que nous jouons. Et nous devons nous consacrer à la paix et à la compréhension du vivant. Efforçons-nous de purifier notre musique pour nous purifier nous-mêmes et nous élever nous et ceux qui nous écoutent à un plus haut niveau de sérénité et de compréhension. » C’est un programme ; ou mieux : un tracé. Un trio, un vrai, s’y attache ; garde vive, au temps presque du trentième anniversaire de la disparition du grand Albert, une exigence essentielle. Engagé sur le chemin d’une beauté sans effets, soucieux, sans violence, de transformation. Actualisant ce « Music is the healing force of the universe » qui trop souvent s’est vu moqué du monde et qui reste dans le petit, tout petit, vital, champ de la valeur.

Lionel Garcin (saxophones), Bernard Santacruz (b), Denis Fournier (dm, perc)
Pernes-les-Fontaines, mars 2000