Dès qu’on parle de hip-hop français, Dee Nasty s’affiche comme LE DJ de référence. L’auteur du premier album de rap français (Paname city rappin’, sorti en 1984 sur Funkzilla) est un véritable haut parleur de la culture hip-hop en France. Un de ces DJ qui a parcouru la planète avec ses platines sous les bras et sous les doigts…
20 ans d’activisme hip-hop. Dee Nasty. Le gars qui chauffait les soirées au Globo et chez Roger, où les breakers foulaient le sol humide de leur Pumas défoncées tout en tournant sur la tête. Les années 80. Côté hip-hop, l’Hexagone s’enflammait. Toute une culture rebondissait sur le béton brûlant des cités. Les métros éclatés de graphes et de flow-up géants. Lyon, Paris, Marseille sous les bombes aérosol. Les tagueurs défonçaient dans tous les sens. 93NTM, VEP, DCA, ODC, tous ces crews retournaient Paris et sa banlieue sans pitié. Des meutes de rappeurs français acharnés assiégeaient chaque dimanche les studios de Radio Nova, Dee Nasty aux platines… Dr Old School. Intronisé Zulu King par Afrika Bambataa en 1986. Les années 1990. Dee Nasty quatre fois champion de France et champion d’Europe de Djing DMC. 5e au championnat du monde en 1987 à Londres. Dee Nasty, finalement interdit de concours pour « monopolisation ». Un honneur. En tournée avec Maceo Parker au Japon. Des premières parties de concerts à tout va avec les plus grands (Ice T, Public Enemy, The Last Poets, George Clinton…). Dee Nasty a toujours été dans la place…

Alors que l’émission Deenastyle fête ses 14 ans, l’homme aux scratches magiques revient en force, enfin, avec une œuvre 100 % hip-hop : Nastyness, qui réunit rappeurs français et américains. Le premier titre installe Solo (ex-Assassin) et Kalash, qui nous défouraillent les oreilles dès le début. Trois générations de hip-hoppers réunies en un seul bloc sur Hip-Hop tradition, qui porte inévitablement bien son nom. Les lascars trippent hargneusement sur un beat à la Tuff Crew en nous livrant des lyrics au service du hip-hop. Dee Nasty, le killer, dealer d’émotions sur wax, nous balance la sauce, prouvant qu’il ne lâche jamais l’affaire avec ses scratches irréprochables. Sur Bum rush et Peace and unity (reprise du seul morceau produit par Jean-Michel Basquiat, Beat bop), les old-timers Dynamax et Grandmaster Caz (une pointure, membre des Cold Crush Brothers, à l’origine du Rapper’s delight) nous proposent un concentré de old-school pur jus.
La très bonne surprise arrive ensuite avec l’équipe des Scienz Of Life. Ce trio new-yorkais surpuissant place un flow véloce sur Pirates, évoquant par instants le style de Capone et Noreaga, en plus ruff peut-être. Les Scienz naviguent sur une atmosphère lisse à souhait, pourvue d’effets planants et de nappes de synthés qui chatouillent doucettement les tympans de l’assistance. Une des plus belles boucles de Dr Old School, qui se surpasse ici en finissant son instru tout en douceur. Dee livre également une autre bombe à retardement, avec une des étoiles montantes du moment : le collectif Anti Pop Consortium. Mr Sayyid et High Priest scandent leurs phrasés sur Looking glass, aux refrains scratchés (Speaking real word du groupe Esoteric) et aux beats bien décalés, avec une nonchalance bienveillante qui sied parfaitement aux sons du Frenchie. La totale.

Retour en France avec les jeunes MCs d’Octobre Rouge qui se défoulent sur Ding dong, titre épileptique, pourvu d’une rage démonstrative et d’une rythmique bien nerveuse, parsemée d’effets sonores sombres. La jeune Kaïna apporte sa touche de sensibilité sur J’ai tout et La Poesia, deux opus assez minimalistes qui vibrent chaleureusement entre soul et funk bien chauds. Médaille d’argent pour le percussionniste cubain Miguel « Anga » Diaz, qui bataille frénétiquement avec des scratches furieux pour un split explosif superbement orchestré. Non content de livrer de si belles pièces, le maître des platines ponctue aussi son œuvre de brefs interludes souvent proches du downtempo (Etat de grâce) ou de l’abstract hip-hop (Scratch 2 the funk), qui permettent aux morceaux de s’enchaîner de façon impeccable.

Le retour du King s’effectue donc en beauté avec cet opus éclectique plutôt réussi. Tel un scientifique du son, qui vit près d’une montagne de vinyles, il nous expose un disque qui oscille entre soul, electro ou funk, mais qui retombe toujours sur les pieds du hip-hop. Dee Nasty a bien mis toutes ses tripes dans Nastyness. Une très bonne cuvée 2001. Big Respect.