Madlib est l’un des rares ces dernières années à s’être vraiment inventé un son. Andsoitisaid, premier LP de son pote Declaime, est là pour le prouver une nouvelle fois. Le problème est que dans le rap, la discrétion n’est pas vraiment la meilleure des qualités pour faire carrière, surtout par les temps qui courent. Dès le départ, le hip-hop a reposé sur l’affirmation hyperbolique de soi (mon nom en lettres d’imprimerie de deux mètres de haut sur une rame de métro) : pour réussir, un artiste ne devait pas être le meilleur, il devait aussi le dire. Sauf qu’aujourd’hui, le hip-hop est devenu aussi une industrie. Ce que Declaime et Groove Attack, la maisons des compilations Superrapin’ et, donc, de cet Andsoitsaid léger comme un premier De La Soul, seraient bien en peine de faire s’ils l’avaient voulu.

Mais ils ne le veulent pas, et c’est là toute la différence : c’est un album à l’ancienne, sans bouteille de Crystal champagne ni diamants ajoutés à la palette graphique en couverture, sans apparition de Snoop Dogg (un exploit, alors qu’on l’a vu ces douze derniers mois jusqu’à Shaolin), sans hits hydrauliques calibrés FM façon Dre. C’est juste lui, ses potes, et les beats, guaranteed to make you move your feet (encore que pas tellement, niveau BPM on est loin de DJ Assault). Tout comme le Grand Agent sorti au début de cet année et ici chroniqué, cet album de Declaime s’inscrit dans la lignée laidback et raffinée des sorties Groove Attack / Supperrapin’ ; et, tout comme le Grand Agent, il risque de rester dans cet angle mort de la production US, pas assez de gunz et d’ego-trip pour les fans de Snoop ou d’Eminem, trop cool et pas assez sombre pour les fans de Premier ou de Def Jux.

Cet album apporte pourtant une nouvelle pierre à l’impeccable discographie de Madlib, l’homme derrière Lootpack (dont le Soundpieces : Da Antidote était l’un des meilleurs LP westcoast de 1999) et Quasimoto (dont le premier LP a été tout simplement le meilleur disque de rap de 2000). La recette est la même que sur les deux premiers : des beats souples et teintés d’un jazz très westcoast, formant un juste équilibre entre la luxuriance du Tribe Called Quest d’après Low end theory et la simplicité linéaire des productions de Pete Rock ou, aujourd’hui, d’un J-Rawls. Et Declaime, en compagnie d’un all-star de l’autre hip-hop californien (Lootpack, Quasimoto, Racso), y pose ses rimes ironiques et nostalgiques de sa voix éraillée, évoquant le bon temps des Kool DJ Herc et DJ Charlie Chase.

L’ensemble baigne dans une ambiance downtempo qui déroutera les amateurs de rythmiques scandées, et de refrain repris en chœur par les homies, qui forment le quotidien des disques de rap aujourd’hui : Declaime est plus de la race des storytellers nonchalants à la Slick Rick (même si son phrasé n’est pas aussi fluide). Madlib habille les morceaux de ces petits riens (un son de clochettes, une discrète ligne de clavier, deux secondes de trompette) qui caractérisent son style, et sait étirer le plaisir comme les disques de Lonnie Liston Smith ou d’Herbie Hancock savaient le faire, au début des années 1970.

L’album se déroule au rythme de skits musicaux ou burlesques (extrait de disques, de sketches, esquisses de morceaux en 30 secondes…) qui forment autant d’images diffractées de l’univers de ses auteurs. Magicalmuzikbreak, le second, résume un peu la position que Madlib occupe dans le hip-hop contemporain : dix secondes d’un morceau d’early disco 70s, façon Philly Sound, qui a juste le temps d’aller et de repartir, où l’on a à peine le temps d’entendre cette phrase : There’s a message in the music… Et c’est exactement ça.