Quoique d’une visibilité moindre sur les scènes européennes, le saxophoniste alto David Binney n’est pas moins actif à New York que tous les musiciens qui l’entourent sur ce disque. A 39 ans, il fait partie de cette génération qui a contribué à créer le son du jazz d’aujourd’hui et dont subitement les noms apparaissent les uns après les autres en tête des nouvelles productions. Pour Binney, il est d’ailleurs question d’affinités électives dans le choix de ses partenaires, en particulier concernant le contrebassiste Scott Colley (qui l’avait invité sur son premier album et avec lequel il participe au groupe Lan Xang) ou le saxophoniste ténor Chris Potter qui partage bien des vues avec son hôte. La présence de Brian Blade n’étonnera personne quand on sait qu’il est le batteur de Potter, dont le nom commence à suffisamment circuler pour qu’on se rende compte qu’il est bien plus qu’un Joe Lovano en second (pour preuve son solo sur The Global soul). Le pianiste Uri Caine compte parmi les musiciens actuels les plus curieux, comme l’ont montré ses relectures du répertoire mahlérien auxquelles Binney était convié. Le guitariste Adam Rogers, enfin, fréquente le leader dans le contexte du groupe Lost Tribe et se montre ici un remarquable coloriste. Tous partagent le désir d’ouvrir une tradition qu’ils tiennent des maîtres du genre aux sons que leur offre le monde contemporain et vers lesquels les pousse leur naturel intérêt d’artiste.

Si David Binney se présente tout au long de son album comme un improvisateur mûr qui sait mettre dans son jeu d’alto la fougue que la tradition de son instrument appelle (New York nature), et qui n’est pas insensible à Steve Coleman, c’est sur le terrain des compositions qu’il séduit plus qu’ailleurs. Qu’elle joue sur l’unisson (Moment in memory), sur une construction en canon (Out beyond ideas), ou écarte une structure fixe au profit d’une mouvante édification basée sur la répétition mélodique (Leaving the sea), son écriture travaille une matière qui marie les textures des saxophones à la finesse de la guitare, jouant sur une palette subtile pour engendrer des climats d’une grande diversité. A ce titre, une fois n’est pas coutume, la couverture de l’album et ses variations de bleu illustrent à bon escient la démarche du musicien qui place au même niveau son implication de soliste et le souci d’éviter la redondance par des arrangements qui n’ouvrent pas tous les mêmes portes à l’improvisation. Preuve de leur enthousiasme et de leur engagement dans l’interprétation, les musiciens qui l’entourent ont su gommer leurs différences à tel point que l’on se surprend parfois à ne pouvoir démêler leurs jeux respectifs. Par sa force d’évidence, ses jeux de lumières et ses émotions inattendues, South s’imposera comme un classique de ce début de siècle.

David Binney (as, ss, sampler), Chris Potter (ts), Adam Rogers (g), Uri Caine (p), Scott Colley (b), Brian Blade ou Jim Black (dm). Juin 2000, Brooklyn, NY.