Et on retourne faire un tour dans le Sud. Mais pas à Atlanta, ni à New Orleans ou Memphis, déjà bien connus des aficionados du Dirty south. On s’en va dans le Mississippi, « cet endroit où le malheur rôde à tous les coins de rue, dans les branches de tous les grands arbres, et dans le dos de mon peuple ». C’est en tous cas ainsi que le présente David Banner, le seul rapper significatif à avoir émergé de cet Etat, à la fin des remerciements de Certified, son quatrième album, qui devrait lui permettre d’accéder enfin à la reconnaissance (inter)nationale qu’il mérite.

Tout d’abord parce que, sur Certified, David Banner surfe opportunément sur les sons actuellement en vogue chez ses collègues, en complétant sa déjà solide discographie crunk de quelques nouveaux hymnes brutaux, dont un solide Treat like me produit par Lil Jon. Le « Roi » auto-proclamé du genre démontre une nouvelle fois, si besoin était, que ses recettes digitales sont un peu plus que des trucs dont l’efficacité s’évente dès la première répétition. C’est toute la différence entre un authentique maître de la production et un faiseur chanceux comme Mr. Collipark, qui fournit à D. Banner avec Play un duplicata sans intérêt de la géniale Whisper song, grâce à laquelle il vient tout juste de permettre aux Ying Yiang Twins de s’offrir un tube mondial.

Heureusement pour lui, Banner n’est pas qu’une curiosité géographique. En effet, si Certified comprend son lot de morceaux typiquement sudistes (Treat like me, Ain’t got nothing, Play…), le rapper se montre tout autant à l’aise sur le gros rock de Crossroads, sur le subtil Ridin’ aux côtés de Talib Kweli et des dead prez, que sur les langueurs salaces de Thinking of you et Fuckin’ -qui rappelle le Ain’t no fun de Snoop Doggy Dogg. Et de fait, c’est paradoxalement plutôt à l’âge d’or de la Westcoast que cet album fait plus d’une fois penser : outre cet hommage direct qu’est Westside, avec ses salut à Inglewood et San Diego et ses références à King T et Spice 1, Certified est parsemé des thèmes de prédilection du rap californien (Hennessy, thug life et petites pépées) comme de ses sons les plus caractéristiques. Difficile de ne pas penser à Nate Dogg à l’écoute des refrains chantés de 2 fingers ou de Fuckin’, tandis que les basses et les mélodies synthétiques qui parsèment l’album ressuscitent le son d’Oakland si cher au pionner Too-$hort. A noter du reste que ce dernier fait partie des parrains que David Banner s’est choisis pour apparaître sur son album (il pose sur Take your), aux côtés des caïds de Memphis, et des vétérans du son Dirty South, 8Ball & MJG et Three 6 Mafia (qui viennent passer une tête sur le menaçant Gangster walk).

On l’aura compris : à l’inverse de tant d’autres rappers du Sud, de l’Est ou d’ailleurs, David Banner n’est pas l’homme d’un gimmick. Si lui aussi aime s’éclater sur la piste en beuglant (Treat like me, Ain’t got nothing) après s’être abreuvé de Hennessy (2 fingers) et avant de bourrer de la chatte en fin de soirée (Play, Fuckin’), il conserve également avec lui un peu de ce désespoir et de cette religiosité maudite qui enveloppe le Sud Noir des Etats-Unis depuis toujours. Sur son profil de thug hédoniste se superpose ainsi une image nettement plus improbable de prêcheur intoxiqué à la Jim Thompson revisité ghetto par les hommes (le racisme Blanc n’y est pas un vain mot, encore aujourd’hui) et par les éléments (comme Katrina l’a tristement illustré) ; ce que ses musiciens n’ont cessé de chanter (ne sommes-nous pas ici dans la partie du Delta blues ?).

Il faudra bien finir par s’y faire : depuis la fin des années 1990, le futur du hip-hop ne s’invente plus ni sur la Côte Est, ni sur la Côte Ouest, mais ici, dans ce Sud qui fut la matrice de toutes les musiques américaines populaires, Noires ou Blanches. N’en déplaise aux amateurs bluffés par le bohémianisme mécanique de Kanye West, ou par la fantaisie autrement plus honnête d’un Madlib, mais bien moins efficace que 4 minutes d’un bon Lil Jon.