Il existe des groupes qui n’arrêtent pas de renaître. Faust, le plus admirable des groupes avant-rock allemands, est comme ça. Depuis les formidables débuts en communauté à l’orée des 70s, ce groupe insaisissable et perpétuellement périphérique, adepte de toutes les expériences possibles et imaginables (rock bruyant, électronique, musique concrète, répétitivité avec Tony Conrad, escouades pré-punk) a beau s’être séparé en 1975, il n’est jamais vraiment mort. Il a juste contourné les gênantes années 80, les solos de sax et les effets de chorus, qui ont fait tant de mal à leurs cousins de Can, par exemple. Et s’il s’est « reformé » autour du trio Hans Joachim Irmler / Jean-Hervé Péron / Werner Diermaier, ce n’était pas pour rejouer le passé (quel morceau jouer, de toute façon, si ce n’est le programmatique It’s a sunshine day, rainy girl) mais pour refonder le présent : d’abord Rien, enregistré par Jim O’Rourke pour le compte de Table Of The Elements à Atlanta (à l’époque meilleur label du monde, rien que ça), reprenait les choses là où This Heat les avait laissées en 1980 ; puis Ravvivando, qui les remettait tout simplement en phase avec le monde contemporain (celui où sévissent tant de groupes traumatisés par My Bloody Valentine). Aujourd’hui, ils continuent d’avancer : ils dirigent le label Klangbad, épaulés par Staubgold, et, tranquillement, collaborent avec Dälek, l’autre groupe de hip-hop expérimental, avec Antipop Consortium, ceux-là même qui nagent entre l’illbient de Wordsound (rappelez-vous, il y a cinq ans, on ne parlait que d’eux) et sortent des disques sur Ipecac, le label de Mike Patton. Ca fait beaucoup de musiques qui se baladent loin de leurs balises respectives, et ça ne nous étonne même pas plus que ça de la part de tous ces musiciens formidablement décomplexés.

Tout a commencé avec la version vinyle de From the filthy tongues of gods and griots du trio hip-hop new-yorkais, sorti sur Klangbad, quelques jams étranges, et un remix post Freispiel (le dernier Faust en date est un disque de remixes) de T-Electronique. A partir de là, les deux trios, les vieux Allemands et les jeunes pousses hip-hop ont plongé ensemble dans un délicieux bain d’influences et d’idées mêlées, poussant jusqu’au bout le flou de la collaboration, en mélangeant remixes croisés et vraies sessions communes, et en croisant jusqu’à la confusion leurs esthétiques respectives là où elles se ressemblent le plus : où il fait froid et noir. Imagine what we started ouvre le disque sur des nuages glaçants de bruit et des salves de hip-hop industriel qui semblent tout droit sorties d’un album de Techno Animal ; Remnants ressemble à une messe noire, et les mots résonnent entre les bruits naturels et les remous ambient comme une invocation étrange, loin de tout territoire hip-hop connu.

Personne ne semble mener la barque dans ces moments-là, les deux groupes semblant tâtonner dans un sombre espace mal délimité. D’autres moments ressemblent plus à un assemblage mal fagoté d’identités reconnaissables (Hungry for now et surtout Dead lies sont exactement à la croisée du dub-hop des uns et du pyschédelisme noisé des autres), mais l’ensemble demeure tout de même fabuleusement mystérieux et véritablement impromptu. Loin des collaborations attendues de la musique improvisée ou de l’electronica dogmatique, le résultat donne réellement à entendre ce qui se passe quand deux groupes curieux et totalement dévoués à faire muter leur famille musicale, même pas étonnés de collaborer, font copuler leur identité et se perdent ensemble dans le troisième bruit qui naît. Une brillante curiosité.