Voilà typiquement le genre de disque qui mériterait de sortir avec un beau sticker marqué Back… With popular demand. C’est en effet la deuxième fois que Cut Chemist, le DJ expert des Jurassic 5, et Josh Davis aka Dj Shadow se retrouvent derrière les platines pour rivaliser d’ingéniosité turntabliste afin de nous montrer l’étendue de leur collection de vinyles.

Le premier volume, Brainfreeze, a fait l’objet d’un buzz insistant toute l’année dernière, inversement proportionnel à la diffusion de l’objet, CD à la pochette photocopiée couleur et portant le nom d’une chaîne de supermarchés américains (Seven/Eleven) en guise d’alibi. Inutile de dire que l’on est ici dans les marges de l’industrie du disque, et qu’il est préférable pour les deux artistes que les spécialistes du droit de la propriété intellectuelle ne s’intéressent pas trop à ce disque. Il est en revanche recommandé à tous ceux qui aiment la musique, l’Amérique et la consommation. Bref, à tous ceux qui ont aimé le XXe siècle, et qui adorent déjà le XXIe.

En effet, Product placement est certes ce que l’on attend d’un disque de Djs -des beats, des breaks, du fun– mais il est un peu plus que cela. Ce disque (tant pis si l’expression est galvaudée) est d’abord un voyage. Un voyage de 60 minutes dans les bas-fonds de l’Amérique sonore, scotchant les unes aux autres plus d’une centaine de bribes de batteries funk métronomiques, de guitares hard, de cuivres soul, de réclames débiles, et de nouveau de batteries funk métronomiques, en une vaste accumulation d’artefacts qui dessinent l’image de trente ans de pop culture US (129 EPs ont été utilisés, nous renseigne la pochette).

Fidèle à son esthétique sauvage de mixtape transférée à la va-vite sur un CD, l’album se découpe en deux plages d’une demi-heure. Shadow et Cut Chemist y enchaînent leurs morceaux toutes les vingt à trente secondes, sans trop scratcher. C’est que le but n’est pas ici d’épater le B-Boy en faisant étalage de sa dextérité. On sent ici, comme dans le reste de leur discographie respective, qu’ils ont plus de goût pour l’assemblage d’un morceau à force de télescopages surprenants que pour la déconstruction savante du rythme et de la mélodie qu’affectionnent habituellement les turntablists. De fait, le disque porte bien la marque de chacun : la sueur soul des 45 tours chers à Dj Shadow, le goût de Cut Chemist pour le détournement de discours et d’exposés pontifiants.

La face A, la plus classique, saute d’un Whole lotta love aérien plein d’écho au One for the treble de Davy DMX, en passant par une invraisemblable publicité electro où une rappeuse moyennement convaincante vante les mérites de la cuisine au gaz (?!!), accompagnée par des sous-Whodini de Prisunic, pour atterrir ensuite sur les terres plus balisées du heavy funk à breakbeats, entrecoupé de caquètements Funky chicken et de guitares rock.

La face B présente les enchaînements les plus intéressants. Tout le début de la séquence est consacré à une variation autour d’une publicité pour un soda, avec pétillement et jingle (forcément) idiot It’s the rea-ea-eal thing ; on n’est pas très loin du classique Lesson 6 – the lecture de 1997 de Cut Chemist, avec sa déclinaison hip-hop de la classification atomique de Medeleiev ; l’autre morceau de bravoure de la face, entre extraits de morceaux rock ou funk plus ou moins connus, est un solo de moto-cross, introduit par une voix délicieusement pincharde évoquant les dessins animés de notre enfance (remember Les Petites canailles ?), qui se fond ensuite dans le rugissement de guitares hard. Le tout est aussi jouissif que L’Ännée du zapping, mais en plus funky. Que demande le peuple ?