Producteur prolifique, fondateur à Brighton du collectif erutufon|nofuture et ingénieur du son courtisé (Chicks On Speed, Scratch Massive, Panico…), Cristian Vogel louvoie depuis le début des années 90 aux avant-postes de la techno européenne à grand renfort de pulsations minimales et de bleeps hypnotiques. Jusqu’au crossover Super_Collider flanqué de Jamie Lidell, avec qui il signe deux albums techno-soul joyeusement schizophréniques. Depuis cette escapade en duo, la musique de Vogel s’est étoffée, alternant tech foutraque (Rescate 137) et collaborations avec le chorégraphe Gilles Jobin. Jusqu’à cette Station 55, où les beats lancinants se sont estompés au profit d’un electrofunk atmosphérique qui puise dans les avant-gardes sonores du XXe siècle.

Vogel nous tire cette fois par l’oreille le long des couloirs sinueux d’une maison hantée, au coeur d’une funkytown peuplée de loups blancs, de femmes fatales, de fantômes numériques et de machines-à-écrire spirites. Cet occultisme teinté d’ironie se ressent notamment sur Typewriter of the dead, valse synthétique pour manège détraqué, hommage à un âge d’or révolu de la science-fiction (Outer limits, Dr Who, Carnival of souls…). Aucun poncif coldwave ne vient pour autant polluer cette « inquiétante étrangeté », tout juste éclairée par un Neon underground. La froideur apparente n’est pas une posture convenue mais plutôt la température qui règne dans les zones les plus reculées de l’imaginaire, un paysage arctique où toutes les permutations sont autorisées, une interzone inexplorée où Prince jamme avec Kraftwerk tandis que Herbie Hancock croise le fer avec Stockhausen dans le manoir de la Famille Addams. A l’instar de Richard James, Cristian Vogel fonde sa créativité sur l’intransigeance envers l’industrie musicale, la quête obsessionnelle de l’innovation comme profession de foi: réinventer inlassablement les règles tout en restant fidèle à ses racines dance, ménager la déstabilisation sans renoncer à l’accroche pop.

Les démons lubriques de Station 55 sont en cela les meilleurs compagnons du home listening autant que de la frénésie « body and soul » : de chuintements spectraux (l’intro du 2-step On the line, les dissonances autechriennes d’Arctic wolfman) en cantiques digitaux vampirisés par d’inattendus guest vocals (les braillements pitchés de Kevin Blechdom sur l’acid-punk 1968 holes, la voix sépulcrale de Franz Treichler des Young Gods sur Turn on, tune in, drown out, mais aussi les susurrements du groupe espagnol Virus ou les prestations de Max Turner des Puppetmastaz…), Vogel change d’humeur comme de chemise sans pour autant perdre une once de cohésion. Jusqu’à oser quelques arpèges de guitare acoustique (Lovelights) en guise de clope après un coït frisant la démence.

« All music has come to an end », alléguait-il au milieu des années 90, anticipant le déclin de l’utopie techno. Nous voilà en 2005, plombés de références inlassablement régurgitées ; fini le statu quo de l’electronica, les Clicks’n’Cuts ont cédé la place aux Crac’n’Pops et une nouvelle devise s’impose: « All music is possible ». Cette nouvelle pierre à l’édifice en est une preuve édifiante.