C’est ce qu’on appelle le beau son. Sonorités miroitantes, éclats de couleurs rendent accessibles les dernières œuvres pour piano de Claude Debussy. Fou Ts’ong, dans le premier volume des Etudes et Préludes, force un peu le trait ; de son goût des contrastes, de sa maîtrise absolue du clavier sort une réelle beauté plastique, mais elle oriente cette musique dans ce qu’elle n’est pas (ou pas seulement) : une galerie de tableaux impressionnistes. Vibrants hommages aux collines d’Anacapri, au vent d’ouest, aux danseuses de Delphes… Splendide réalisation de ce pianiste chinois, assez appuyée tout de même. Un peu propre pour une musique traitée en son temps de « vilain petit bruit ».
Que perd-on dans cet enregistrement ? Pas mal d’humour, d’abstraction, de sécheresse, de violence, de désabusement. L’enjeu est de taille : nous faire entendre la plus grande musique pour piano du vingtième siècle. Une évidence. Les Préludes sont conçus comme de petits moments indépendants les uns des autres, dont les titres sont juste suggérés (placés à la fin de chaque prélude). L’imagination comme art total.

Une des forces principales des Etudes (bien au-delà de la virtuosité) est leur forme ouverte, sorte de work in progress avant l’heure, dont la structure se découvre elle-même au fur et à mesure de son déroulement. Debussy ambitionne une nouvelle conception du temps en musique, invente de nouveaux abîmes qui attendront longtemps la compréhension du public. Certes, la plasticité harmonique et l’humour génial (lire Monsieur Croche ou l’anti-dilettante, son recueil littéraire paru chez Gallimard) le rendent immédiatement accessibles. Mais la complexité de son langage, l’abandon du développement traditionnel, les influences orientales (modes et rythmes) dépassent un tel cadre.

Il y a cependant de très belles réussites dans ce disque. La cathédrale engloutie est profonde et large comme les toiles de Monet, ce qu’à vu le vent d’Ouest est d’une virtuosité pas banale, les pas sur la neige sont sensibles et poétiques. Piano virtuose, donc, maîtrisé, fait d’un réel jeu de couleurs, malheureusement mal rendu par une prise de son trop réverbérée, trop maquillée (Lech Dudzik dans la salle de la radio polonaise de Varsovie). A l’opposé de l’œuvre de Debussy qui vous regarde sans fard. Et vous poursuit.