Un portrait chinois, en quelque sorte, ludique et survolté, où il ne serait d’autre règle au jeu que celle de les oublier toutes et de concilier l’inconciliable sans se soucier de ce que certaines couleurs n’ont pas le mariage facile. Claude Barthélémy a pensé son disque comme le miroir d’une trajectoire et d’influences pour le moins éclectiques, avec la ferme intention d’exploser d’un riff corsé les bornes conventionnelles du goût officiel et des unions interdites. On est servi. L’hypothétique fil rouge qui court peut-être d’une plage à l’autre est joyeusement enfoui sous le délirant amoncellement d’influences et de sons qui semble indiquer le principe d’un disque en forme de catalogue sans index ni table des matières, dont quelque plaisantin aurait au demeurant inversé ou découpé les pages avant livraison. Énumérer tout cela dans l’ordre où on l’a trouvé n’aurait probablement pas plus de sens que de l’évoquer en vrac : restons donc fidèles à la philosophie de l’entreprise en notant dans le désordre un hommage au joueur d’oud Munir Bachir ici, un clin d’œil respectueux à Ornette et son harmolodie là, une construction dodécaphonique montée en big band ailleurs, un tourbillon musette à gauche, une reprise chantée de Syracuse là-bas au fond, et un salut au maître René Thomas -n’oubliez pas le guide. Tout cela s’enchaîne avec une hardiesse acrobatique propre à réduire en miettes les barrières séparant grande musique et musiques populaires, d’où la présence insistante et par ailleurs remarquable de l’accordéoniste Didier Ithursarry tout au long de ces cinquante minutes de rebonds d’un monde à l’autre.

La petite troupe qui suit le guitariste n’est pas moins enthousiaste ni enthousiasmante, qui compte dans ses rangs Jacques et Nicolas Mahieux (respectivement batterie et contrebasse), le virtuose Franck Tortiller (vibraphone lumineux et marimba voluptueux), le très agité Médéric Collignon, l’inégalable Bojan Z et, pour ne pas les citer tous, la vocale Elise Caron. Qu’on le préfère dans ses couleurs jazz, rock, variétés ou exotiques, ce disque post-moderne en diable n’est pas pauvre en plaisirs, à commencer par ceux qu’offre la guitare versatile d’un leader habitué à citer Django, Coltrane, Webern et Steely Dan dans la même phrase (parlée ou, pourquoi pas après tout, jouée). L’esthétique générale du disque se prêtant presque naturellement au zapping, on passera assez vite sur un Syracuse aussi surprenant que laborieux pour mieux profiter de la voix d’Elise Caron dans l’envoûtant Cançao para ti (sur un texte de Pierre Léglise Costa) ; sur tous les tons, dans tous les genres, Claude Barthélémy retourne sans cesse une veste multicolore sans vraiment laisser le temps de voir de quelles étoffes est fait son généreux patchwork. Les raccords disgracieux n’en sont que plus vite oubliés.

Philippe Lemoine (ss, as), Médéric Collignon (voc, cornet), Jean-Louis Pommier (tb), Claude Barthélémy (g, p, kbds), Bojan Zulfikarpasic (p), Didier Ithursarry (acc), Franck Tortiller (vib, mar), Nicolas Mahieux (b), Jacques Mahieux (dm), Elise Caron (voc).