Ville refuge, ville aux multiples rencontres, Marseille est aussi la capitale française des Comores. La légende affirme qu’il y aurait plus de comoriens dans la cité phocéenne qu’à Moroni. Toujours est-il que trois ou quatre générations de comoriens y séjournent depuis plus d’une trentaine d’années. Ils sont venus s’y installer par petites vagues, sans aucune envie de déclencher la houle. Sauf lorsqu’un des leurs se distingue. Parmi ceux qui sont arrivés il y a quinze ans, se trouvait un jeunot, Chebli, venu continuer ses études en France. Il y fera son secondaire. Après quoi… tout se met en branle. Fils de musicien -son père jouait du twarab au pays, une musique populaire, cousine directe du taarab zanzibari- il monte son premier groupe, tendance « trad », en 95, avec le soutien de la ville. Estime. Petits succès. La carrière est lancée. Mais à force de traîner au rayon world du Virgin Megastore, où il travaille, des sons d’ailleurs l’envahissent et des envies lui prennent. Première conviction à le happer : il n’y pas que la pureté du son traditionnel, il y a aussi le besoin de créer d’une façon plus ouverte au monde. Pourquoi ne pas marier dans ce cas les deux aspirations ?
Sitôt pensé, sitôt fait. Chebli se lance dans un voyage sonore à travers le monde où il tend de temps en temps le doigt pour rappeler cette culture comorienne, si complexe pour sa génération, mais grâce à laquelle il est ce qu’il croit être aujourd’hui. Un être aux ancrages multiples. Dans ses îles natales, l’Afrique et l’Orient se confondent assez souvent avec la moindre influence venue d’Occident ou de l’Inde du Nord pour construire une identité qui revendique haut et fort ses accents pluriels. D’où cet album. Eclaté mais tellement fidèle au Comorien qu’il est. Un album qui nous promène dans la rumba congolaise des années soixante, qui invente de fait… la rumba twarab. Avec des influences rock et reggae bien senties. De nombreuses escales, dans l’Espagne andalouse et dans l’Afrique du Sud du Mbanquanga entre autres. Tout en restant profondément comorien. Par les formes du chant et par les textes surtout. Poète du quotidien, Chebli chante l’enfance, l’amour, l’espoir des générations futures. S’attaque au mensonge politique, proclame la dernière révolution, parle de justice face aux générations sacrifiées et s’inquiète à cause de la tradition mise à mal. Pour lui, le peuple se laisse aveugler. Mais tout n’est pas condamné. Un album humaniste. Essentiellement interprété en comorien. Il semble d’ailleurs que la meilleure façon de conserver cette langue, lorsqu’on vit en France, est d’aller vivre à Marseille.