Quel plaisir… Le prince benjamin du raï algérien s’essaye avec succès au grand écart entre les sonorités éclatées qui peuplent les banlieues françaises et les explosions de joie que lui procurent les traditions de son bled d’origine. Nouara, chanson populaire d’amour issue du répertoire berbère, est un concentré de chaouï* revisité à la façon raï, avec des influences funk & rock qui ne bousculent en rien l’authenticité revendiquée par ce fils d’épicier. Venue de Saïda, la ville d’où est partie Cheb Mami, Ali Chérif Ben Aïssa de son vrai nom, 27 ans et des poussières, raconte son parcours de jeune exilé dans une ambiance nostalgique qui nous mène des campements nomades du Nord de l’Afrique aux jungles urbaines de ce côté-ci de la Méditerranée. Un travail d’équilibriste comme le constate notre confrère Rabah Mezzouane sur le magnifique livret qui accompagne l’album: « une formidable synthèse entre le passé le plus précieux et la projection futuriste la plus audacieuse ». Un pari qu’il réussit avec brio sans se renier, aussi bien au niveau de la musique que des textes.

Sur Vivre ma vie, Cheb Aïssa invite Fresh-K. le rappeur marseillais à toaster sur la trahison de l’aimée. Les femmes en prennent pour leur grade: tentation, déception, désillusion… Pas de machisme mal placé, juste une fidélité sans égale à une thématique développée par ses idoles d’adolescence. « J’ai connu bien des filles avant elle/ Mais je ne m’en souviens d’aucune/ Celle-là, rétive, est telle une forteresse/ Je lui ai pourtant sincèrement offert mon cœur ». Heureusement que Dieu est là. Siddi Rebbi qui s’élance comme un raï trab**. cybernétique à tempo lent est en effet un titre qui prend le Très Haut à témoin… Nouara est un bel hommage au dialogue des cultures, produit par Yves Ndjock, Edouard Papazian et Alain Genty pour mieux brouiller les pistes. Cheb Aïssa, dont la voix semble-t-il fait frémir ses aînés, Khaled et Mami, a débuté à 14 ans dans les mariages et les fêtes de circoncision. Petit-fils d’une meddahate (membre d’une formation exclusivement féminine) renommée, il a ensuite gravi les échelon dans la cité mythique d’Oran, avant d’incarner le nouveau souffle du raï sur la Canebière, bastion sacré de la musique maghrébine, bien avant Barbès la consacrée.

* chaoui: rythme berbère que l’on rapproche d’un reggae au tempo accéléré.
** raï trab. : un raï des racines, paysan à souhait.