Deux versions du génial Work song de Nat Adderley : c’est une raison parmi d’autres pour présenter, parmi les nombreux coffrets (deux albums à chaque fois, dans une pochette cartonnée plutôt cheap) de la collection « Paris Jazz Concert », ces trois concerts du détonant Julian « Cannonball » Adderley, captés par les micros d’Europe 1 les 25 novembre 1960 (à Pleyel), 15 avril 1961 (à l’Olympia) et 27 mars 1969 (à Pleyel à nouveau). Issues des bandes enregistrées par la station parisienne à l’occasion des concerts organisés par Frank Ténot et Daniel Filipacchi, ces galettes présentées (en anglais) par le team de la revue française Jazz Magazine donnent à entendre la crème du jazz US de l’époque (Peterson, Miles Davis, Ellington, Gerry Mulligan, Art Blakey et ses Jazz Messengers, Dizzy Gillespie et consorts) sur les planches des salles hexagonales ; on découvrira donc ici, à dix ans d’écart, deux moutures du groupe des frères Adderley.

La première, avec trois plages tirées d’un concert de novembre 60, est la première trace enregistrée des prestations française de Cannonball (comme tous les surnoms, celui-là a sa petite histoire : gros mangeur, Adderley aurait reçu le sobriquet de « Cannibal » lors de son service militaire ; un présentateur radio dur d’oreille l’aurait transformé en ce « Cannonball » -« boulet de canon »- qui ne lui allait finalement pas si mal et, de fait, lui est resté) et de son cadet Nat ; les accompagnent Victor Feldman (piano), Sam Jones (basse) et le remarquable Louis Hayes (batterie). The Chant, Serenity (tous deux signés du pianiste), Bohemia after dark : les inconditionnels des frères Adderley retrouveront, sur leur répertoire de l’époque, toutes les qualités d’une musique fluide, ronde, tonique et marquée au sceau d’un blues profondément enraciné.

La deuxième reflète les orientations prises par l’altiste à partir de 1968 -celle d’un jazz s’éloignant du hard bop et lorgnant volontiers du côté d’un funk plus ou moins électrifié. Succédant sur scène au groupe de Phil Woods, le quintet devra d’ailleurs affronter ce soir là, ainsi que le rappelle Jean-Louis Ginibre dans son court texte de pochette, l’incompréhension d’une partie du public, venue voir le Cannonball de l’époque Riverside plus que celui de la période Capitol, pourtant capable de petites merveilles du genre de ce Mercy, Mercy, Mercy durant l’introduction duquel on entend quelques manifestations de mécontentement. Joe Zawinul (claviers), Victor Gaskin (basse) et Roy McCurdy (batterie) n’étaient pourtant pas les plus mauvais partenaires d’une fratrie Adderley fort en verve à notre goût, véloce sans la démonstrativité que n’évite pas toujours, malgré ses géniales intuitions, le futur fondateur du Weather Report, et surtout, pour l’aîné comme pour le cadet, toujours prompt à trouver ce lyrisme bluesy qui fait toute l’originalité et la force de leurs improvisations.