La dance music n’en finit plus de chercher la formule magique, cette année. Le pneu minimal berlinois se vide inexorablement, les clicks clicks fatiguent tout le monde, alors on durcit le temps et le tempo un peu partout, en boostant sur ordi les basslines piquées à la booty de Assault ou Godfather, et évidemment, on ressort les basics de Detroit ou de Chicago, vaguement modernisés à coup de cut dans Protools. Tombant à contrepoint d’un revival proprement acid (house, techno, progressive, trance) qu’on en finit pas de nous annoncer et qui pour l’instant amuse tout juste trois gaillards IDM (Vibert, Ceephax, et puis ça se précise quand même dans les Analord de l’ami Aphex), la première vraie anthologie digne de ce nom (livret monstreux, remaster classe) des débuts de l’acid chicagoanne marche pourtant comme un petit bain de jouvence pour nos oreilles d’electronic addicts paumés.

Elaborée par le remarquable Stuart Baker himself, boss de Soul Jazz, Can You Jack ? écarte d’ailleurs le simple vocable acid house, pérennisé par l’Angleterre extatique de quelques années plus tard, au profit d’un « Chicago acid and experimental house » soulignant idéalement le caractère accidentel et ahuri de cette musique née de la technologie Roland (et de ses défaillances) et de la misère sociale -car c’est littéralement parce qu’ils ne pouvaient pas se payer des musiciens de studio que les Larry Heard (ancien batteur disco) et autres Marshall Jefferson se sont convertis au numérique sommaires des machines Roland…. Avant de tomber amoureux de l’abstraction digitale, non-référentielle, de leurs sons fous, fous, fous (Juan Atkins se rêve d’ailleurs encore en parrain, prétendant que la naissance du son acid viendrait d’une tentative de copier le « No UFOs » de son propre Model 500… Mais on sait à quel point les liens entre Detroit et Chicago sont hasardeux et technologiques).

On entend donc totalement les boutons du couple superstar TB-303 / TR 808 tourner ici (et pas grand chose d’autre, à peine deux ou trois samples et effets sommaires) et le futur (le phuture) tomber sur les têtes ébahies des grands Jefferson, Dj Pierre et Herb J ou Roy Davis Jr. alors qu’ils font, tâtonnants, tremblants, onduler les courbes étranges de leurs machines étonnantes. Et vous savez quoi ? L’impression est préservée. Autour des douze minutes complètement expérimentales du total « Acid tracks » de Phuture, une myriade de bombasses méconnues, comme le combat taré de toms synthétiques de l' »Acid crash » ou les cuts de voix conquérants d' »Acid over » de Tyree (plus connu pour ses faits d’armes hip-house un peu plus tard) , l’hydromel minimal de Fresh (« Dum dum » comme un « Move your body » de Jeffersion pre-acid passé au sauna amaigrissant), la démence amoindrie du « Video clash » de Lil’ Louis ghostproduit par Jefferson encore, ou le romantique « Beyond the clouds » pre-Detroit de Larry Heard sous pseudo Mr Fingers. Il y a ici tellement de musique excessivement excitante qu’on ne peine pas à croire l’extase délirante des dancefloors de l’Underground Music Box de Ron Hardy (underground crasseux) ou du Powerplant de Frankie Knuckles (plus classe) aux premiers mois de cette explosion futuriste ET populaire. C’est toujours la même rengaine, mais l’histoire a des bonnes raisons de devenir l’histoire : cette compilation fabuleuse va vous retourner la tête.

En bonus, Uwe Schmidt, soit Atom Heart l’homme-aux-cent-disques-et-cent-identités publie sa propre anthologie en seize morceaux fictifs et autant d’artistes inventés (il faut checker les noms hilarants et plausibles, Dj Roxy, Matt & Silver et autre Microsmiles…). Léger mais pas gadget : le monsieur, avant de s’exiler au Chili et de faire le malin avec la salsa et Kraftwerk, était un vrai activiste de la techno dans l’Allemagne de la fin des 80’s, et a une vraie légitimité à faire gémir les courbes de sa TB. On passe immédiatement à un ‘88 rêvé, et, surtout, européen : il fait tout de suite beaucoup plus froid. Plus rien à voir avec les clubs gay et noirs de la Windy City, le référent d’Atom est continental, martial, sent la pluie et le vomi : la techno, quoi. Les correspondances avec l’original américain ne manquent pourtant pas, et l’ami Schmidt met tellement de coeur à la reconstitution qu’on peut s’amuser, comme avec des originaux, à chercher la myriade de clins d’oeils aux différents genres et sous genres, labels, et scènes, qui faisaient le quotidien du crate-digger dans l’effervescence des premiers jours de la techno. Et puis, vers la fin (le tracklisting est pseudo chronologique), Schmidt nous offre quelques merveilles updatées (sous pseudos Takeshi Onda ou Tobias Selbermann) qui font montre un instant d’un présent possible du son acid minimal dans un contexte plus contemporain. Ca coule de source. Luuuuuuush.