Le hip-hop « underground » est-il encore intéressant ? On est de plus en plus en droit de se poser la question, tant les alertes se multiplient depuis quelques temps : sans même descendre jusqu’au cynique Soundbombing III, on relèvera le pas si Fantastic damage d’El-P, en retrait par rapport à Little Johnnie from the hospital, ce grand disque maudit dont la brève agonie marketing constitua sans doute la première faute de Rawkus, le décevant Deadringer de RJD2, dont on attendait beaucoup et qui ne nous offrit qu’un sticker « Entre Dj Shadow et Moby », même le LP de Non-Phixion, bon en 2002 mais qui, sorti en 1999, aurait été exceptionnel. Et maintenant ce Movies for the blind de Cage, qui ne s’élève guère au-dessus du plaisir régressif d’un film gore dégusté le samedi soir à la séance de minuit.

L’affiche (puisque c’est un film que la pochette nous invite à visionner avec nos oreilles) était pourtant alléchante : l’album des Smut Peddlers, le précédent projet de Cage avec ses potes de The High & Mighty, était tout simplement le meilleur album de porno rap que Kool Keith n’arrive plus à faire depuis déjà pas mal de temps ; ce dernier n’étant sorti qu’il y a à peine un an et demi, on espérait que ce disque en capterait encore un peu l’inspiration, surtout qu’on croise dans ses crédits des noms familiers souvent chroniqués ici (J-Zone, Necro, El-P…).

Après avoir posé la première face du LP sur sa platine, on doit pourtant déchanter : sur une production le plus souvent apathique, Cage décline en écriture automatique les avanies sanglantes d’un fils de famille dysfonctionnel qui ne rêve que de meurtres sanglants, dont les victimes sont en général ses proches (ou lui-même). Ça ne vous rappelle rien ? Nous aussi. Sauf que d’une part Cage ne dispose pas des services d’un Dr. Dre mais juste de son pote Mighty Mi et que d’autre part ce genre de délire est paradoxalement beaucoup plus effrayant quand on vend 10 millions de disques que lorsqu’on est abonné aux bacs de Fat Beats.

De fait, la production unidimensionnelle de Mighty Mi (dont la devise semble être, pour cet album, « surtout pas plus d’une idée par titre ») aplatit la plupart du temps les rimes acrimonieuses de Cage, ne trouvant le chemin de l’efficacité qu’en de rares occasions (Crowd killer, qui rappelle les vieux High & Mighty). Plus qu’un prolongement de l’album des Smut Peddlers, ce disque est donc pour Mighty Mi la confirmation de la déception qu’avait déjà été le mini-LP de The High & Mighty au début de l’année. Heureusement, les autres guests s’en tirent mieux. El-P fait du El-P pour Holdin’ a jar 2 ; on préférait quant il faisait du neuf, mais c’est déjà pas mal. RJD2 sort les violons pour un Among the sleep parsemé de coups de feu (facile, mais ça marche toujours), là où Camu Tao se montre subtil mais un peu trop discret sur Teenage death. De Necro, l’album ressort le vieux (et bon) Agent orange, lourd et pensif autour de son People say his brain was infected by devils scratché. Mais encore une fois, c’est J-Zone qui emporte le morceau avec Stoney lodge à la production bien dans son style, c’est-à-dire semblant débarquer de 1920 directement sur la planète Mars.

Le tout forme un ensemble baroque et assez mal foutu, aux lyrics souvent agaçants, et qui ne convainc pas vraiment de la bonne santé du hip-hop US « underground » : dans le même genre, on a entendu récemment mieux que ça. Sur un disque Universal, qui a passé tout l’été en tête des hit-parades du monde entier. Who’s the real Slim Shady ?