Depuis 30 ans, Caetano Veloso est la star incontestée de la M.PB. (Musica Popular Brasileira). Au fil d’une carrière irréprochable, le jeune tropicaliste hirsute posant en slip sur la pochette du brûlot bruitiste Araca Azul (1972) s’est transformé en un quinquagénaire élégant et pleinement épanoui. Puisant avec un goût éclairé dans le riche terreau musical brésilien (bossa nova, tropicalisme, rythmes de Bahia), son dernier album, Noites do norte, témoigne de la vitalité de son inspiration et de son détachement dandy face au regain de popularité dont il jouit au Brésil et aux Etats-Unis. Mal distribué à l’étranger jusqu’en 1989, ses deux précédents disques (Livro, Prenda Minha) se sont vendus à des millions d’exemplaires et Livro a reçu le Grammy Award du meilleur album world : là où d’autres se seraient contentés de ressasser leur répertoire dans d’inutiles anthologies, Veloso signe un album d’une subtile modernité, à la fois neuf et mûr.

Le charme lancinant de Noites do norte doit beaucoup à la voix précieuse de Veloso et aux somptueux arrangements de cordes du violoncelliste Jaques Morelenbaum. Réduite à ces deux ingrédients pour un court hommage à Michelangelo Antonioni, la musique de Veloso se fond dans un azur empli de désirs muets : dans cet exercice d’épure, il célèbre les obsessions du cinéaste du silence (« Visione del silencio/…/Pagina senza parole »). Réalisateur d’un long métrage en 1985 (Cinema falado), Veloso voue aussi un culte passionné à Fellini et sa femme Giulietta Massina, à qui il dédia un disque live enregistré à Rimini (Ommagio a Federico E Giulietta). La singularité de Noites do norte repose sur l’usage moderne des percussions, et notamment des percussions traditionnelles bahianaises. Dans une même chanson, se croisent comme par enchantement des séquences rythmiques minimalistes, la légèreté des accords de bossa et la maîtrise orchestrale de Morelenbaum. Parfois, une guitare saturée vient discrètement glisser quelques sourdes dissonances comme pour narguer la pureté vocale du chanteur (Zera a Reza). 13 de Maio rappellera d’ailleurs à certains fans de David Byrne que sa voix gracieuse doit beaucoup à Caetano Veloso. Evocation tropicaliste, la prouve sans nostalgie que ce mouvement, initié par Veloso, Gilberto Gil et les Mutantes, n’a pas fini de propager son ivresse subversive dans les esprits. Amor e progresso : ce détournement de la devise brésilienne (Ordem e progresso), qui condamna Gilberto Gil et Veloso à l’exil en 1969, décrit assez bien les forces en action dans Noites do norte, un album d’une plénitude apaisante. La beauté languide des Afro-Brésiliens photographiés dans le livret a trouvé une musique libre et sensuelle pour illustrer leur indolence métaphysique. La jeune génération brésilienne n’a toujours pas dépassé le maître.

Caetano Veloso (voc., guit. ac., arr.), Luiz Brasil (guit. ac., arr.), Pedro Sá (guit. él.), Jaques Morelenbaum (arr.).