Non pas un, mais trois albums de Brigitte Fontaine sortent simultanément dans les bacs : 12 chansons d’avant le déluge, 15 chansons d’avant le déluge suite et fin, 13 chansons décadentes. Sans doute de quoi surfer sur l’effet « kékémania » de ces derniers mois, même si ces recueils ne sont pas, à proprement parler, de véritables nouveautés. En effet, l’ensemble de ces titres proviennent de la « pré-histoire » de Brigitte Fontaine (et, accessoirement, de celle de Jacques Higelin) : entendez que ces albums sont à Brigitte Fontaine est folle ce que Chelsea girl est à The Marble index chez Nico (toutes proportions gardées, cela va de soi). Brigitte Fontaine a, aujourd’hui, plus ou moins renié les chansons de cette époque (mid 60’s) et fait officiellement commencer sa carrière avec Brigitte Fontaine est… en 1968.

Retour en 1966, donc, année où Jacques Canetti fait enregistrer Jacques Higelin et Brigitte Fontaine, parfois seuls, parfois en duo, pour deux split albums devenus peu à peu indisponibles. Ce faisant, il fait se rencontrer deux inconnus qui, alors, visent davantage une carrière d’acteur ou de comédien qu’un rôle d’auteur-compositeur-interprète ou même de chanteur : les chansons-sketches comme Huit jours en Italie ou Le Sac en sont la preuve. Les deux compères s’en tirent plutôt bien, même si l’ensemble des titres s’inscrit dans le registre prévisible de la chanson « rive gauche » de l’époque. On navigue en territoire connu, d’hommages/clins d’oeils à Boris Vian (La Java des chaussettes à clou ou Priez pour St-Germain-des-Près) en name-dropping carte de visite (A Django). Jacques Higelin trouve même le temps de ressembler au braillard démonstratif qu’il sera plus tard (L’Isabelle ou encore L’Ame slave) et on zappera souvent ses chansons, à une ou deux exceptions près (L’Année à l’envers).

Quoi qu’il en soit, le fan de la Brigitte-à-venir pourra trouver son compte avec tout un lot de titres à l’humour pince-sans-rire : de Maman, j’ai peur (« Ton grand-père a un cancer/C’est mieux que d’être poivrot/En Orient, on fait la guerre/C’est mieux que d’aller au Bistrot ») à Je suis décadente – La Concierge gamberge (« Le matin quand je fais mes escaliers/Avec mes pauvres jambes à varices/Je pense à Sisyphe et son rocher/Qui retombait dans un précipice »), c’est la parolière farouche des années Areski qui est déjà en germe. Sur les rares titres où Fontaine et Higelin collaborent vraiment, leurs voix se mêlent déjà avec une complicité non feinte : du jerk rebelle de On est là pour ça à la bossa vénéneuse de La Grippe (comme un présage à Cet enfant que je t’avais fait, leur stupéfiant tube à venir), on sent que ces deux-là se reverront, tant la cohérence de leurs univers respectifs s’enrichit au contact de l’autre.

Si votre bourse est filiforme et/ou si vous appréciez uniquement les oeuvres postérieures de Brigitte Fontaine, vous pouvez vous contenter d’acquérir 13 chansons décadentes, qui regroupe les titres les plus intrigants des deux albums originaux. Si, toutefois, vous êtes un fan boulimique et/ou si vous avez un faible pour la chanson française des ces années, vous trouverez un charme à l’intégralité de 12 chansons d’avant le déluge ainsi qu’à celles de 15 chansons d’avant le déluge suite et fin, tant elles font preuve de fraîcheur et vivacité, aujourd’hui encore.