L’équation sonore de Black Dice s’est précisée à mesure que le trio prenait la tangente vers le tout-électronique et posait ses valises chez DFA, grosso modo depuis leur album Broken ear record en 2005. Voyez vous ça, le rock sans guitares, ça n’est plus vraiment du rock. Tout faux, répond Black Dice en substance, qui n’aime rien tant que de déjouer les expectatives du hipster lambda tout en caressant à rebrousse-poil ses fans issus de la branche hardcore-qui-slamme.

A contrepied de la technologie numérique haut de gamme et aseptisée, Black Dice a donc choisi le credo du primitivisme post-industriel à base de graillon analogique, de percussions martyrisées et de synthétiseurs éventrés, et n’en déplaise aux nostalgiques du package gomina-santiags, ça continue de « rocker » sévère. Le trio de Brooklyn n’a pour autant jamais brandi l’étendard de la recherche sonore pure et dure dans la « tradition » GRM / Ircam ou Mego, lorgnant plutôt vers une dance-music mutante qui semble dériver davantage de leur pedigree noise que du minimalisme syncopé de la house. Sur Mr Impossible, les textures électroniques les plus arides sont toujours au service d’une forme d’énergie punk jubilatoire, assumant un goût tout simple pour le côté fun et spontané de la musique expérimentale malgré la haute teneur en saturation noise et en bidouillage cahoteux. C’est ce qui fait la force et la cohésion du groupe, mais c’est aussi là que réside sa limite.

Si Black Dice se révèle extrêmement convaincant dans son approche live et dans son art du collage visuel (voir la video épileptique et totalement joussive de Pigs ou leurs pochettes pop-art dégénéré), leur musique tend à brûler un peu trop vite ses cartouches, à épuiser instantanément cette gamme de sons qui pourraient aussi bien venir du fond du cosmos que de la benne à ordures du coin: crachouillis de circuit bending et montagnes russes de synthétiseurs pétomanes, scansions de gnomes extra-terrestres et déferlante de wah wah à tout bout de champ, techno démantibulée et pilon rythmique parcouru de bleeps analogiques qui pétaradent… L’inattendu devient presque convenu pour qui suit l’évolution du groupe depuis ses débuts. Comme un caméléon sur une nappe à carreaux, Black Dice a la capacité d’engloutir jusqu’à saturation le bombardement d’images et de sons dont nous inonde la pop-culture pour mieux les régurgiter sous forme de compost psychédélique plus ou moins digeste. Alors, oui, leur musique finit par donner le tournis à force de hoqueter et tanguer dans tous les sens, mais on n’en démord pas : Black Dice reste un groupe tellement alien face à la pitchforkisation des esprits et des corps qu’on ne peut s’empêcher de les aimer. Mais qu’ils nous fassent de temps en temps redescendre de leur manège ne ferait pas de mal, c’est un peu épuisant à la longue.