Loin des prétentions intimistes revendiquées à tue-tête par la chanteuse, Vespertine débarque dans un cirque médiatique bruyant et clinquant. Un étrange objet témoin de la position inconfortable de Björk qui déploie une personnalité tellement présente qu’elle en arrive à s’imposer dans chaque foyer. Une réussite médiatique incontestable qui n’occulte que partiellement un disque en demi-teinte qui suinte les bonnes intentions, gorgé jusqu’à ras bord de la personnalité démiurge de sa génitrice.

Björk essaierait-elle pour autant de contenter tout le monde ? Là où elle brillait dans le passé par une intransigeance inespérée, elle se perd ici à trop y réfléchir. On blâmera surtout les partis pris de production, focalisés à outrance sur une esthétique artificiellement éthérée. Souvent, les chansons de Vespertine ressemblent à de jolies comptines mixées par un apprenti fan de Lara Fabian. D’un côté les hauteurs des habillages rythmiques et soniques de Matmos, Herbert, Zeena Parkins et Thomas Knak ; de l’autre, les déflagrations de chœurs et de cordes -synthétiques ou philharmoniques, on s’y perd-, et la voix de la star, le tout perdu dans un océan de reverb. Si sur Homogenic, Björk osait la crudité et la laideur des ondes sinusoïdales nues, elle signe ici un disque conçu comme un produit, quelque part entre le dernier Britney Spears et une vieillerie 4AD. Pour la première fois, la présence d’artistes underground ressemble plus à un faire-valoir, à un argument visant à nous faire rejoindre la meute coûte que coûte. Matmos, Zeena Parkins ou Console ne jouent ici que le rôle d’arrangeurs habiles, quand par le passé les participations de Tricky, de Graham Massey ou de Mark Bell constituaient de véritables échanges artistiques.

Et voilà bien le problème : Björk n’échange plus avec personne et annihile de sa présence tous ses collaborateurs. Elle se contente d’accoler des motifs mélodiques éprouvés sur lesquels elle n’a plus qu’à faire acte de présence. Le mythe Björk exulte sur chaque seconde d’un disque sans surprises, parasité de sempiternels tics de chant qui n’appartiennent heureusement qu’à elle. Sous des dehors de pose zen et d’humilité, Vespertine met mal à l’aise et exprime des tensions extrêmes. Restent quelques perles, comme Cocoon ou Unison, qui nous rappellent in extremis que l’islandaise est l’une des rares chanteuses à savoir exprimer l’euphorie avec autant de justesse.