Un album-live est rarement la chose la plus excitante du monde. Quand bien même cela concerne des artistes que l’on chérit. Applaudissements, pains divers, son approximatif, présentation des musiciens, rappel… Cela a son charme mais également son lot d’imperfections navrantes. Dans le cas d’un personnage aussi dandy que Burgalat, c’est même paradoxal. Il est préférable d’avoir vu l’acte joué en vrai et puis c’est tout. L’enregistrement noie l’énergie, la magie de l’instant et des gestes, rendant cette immortalisation du moment à l’état de simple archive matérielle, banale et fantomatique. Il arrive parfois qu’un album-live aille au-delà de l’anecdotique pur, et devienne un témoignage ému et bouleversant de versions à pleurer de morceaux sublimes. Ce fut le cas pour le fameux Bertrand meets A.S. Dragon de 2001 qui rendait justice à la grâce, l’énergie cosmique psyché-prog des moments forts d’une tournée mondiale étincelante, au temps béni de l’âge d’or de Tricatel. Bertrand Burgalat était alors à l’apogée de ses ambitions scéniques en matière de fusion soul-disco-pop planantes, ses Dragons en délivraient la quintessence, « de la musique de rêve » solaire et électrique. C’était une bande de jeunes poulains fougueux qui dynamitaient ce qui se faisait de « rock en France », durant une période qui fut assez trouble en la matière. Il apparut d’ailleurs ensuite que bon nombre de minets franco-français leur furent largement redevables. Il est même probable qu’un tel orchestre – véritable écurie motownienne – eût pu goûter à un succès différent outre-Manche, similaire à celui d’un Franz Ferdinand par exemple, s’il avait été anglais.

Treize ans plus tard, l’intérêt de sortir un nouveau disque compilant des enregistrements de différents concerts, avec deux formations différentes, est plus incertain. Il n’y a plus guère d’enjeu – plus d’enjeux d’époque en tous cas – juste le plaisir de jouer entre amis, et on a le sentiment d’écouter un disque ronflant de petits vieux. Burgalat nous invite dans son salon, mais il faut chausser ses patins et faire bien attention au parquet ciré.

Le patron de Tricatel, qui peine depuis toujours à accroître son audience, arrive souvent à décevoir même ses fans les plus acharnés en proposant des choses presque douteuses, ou qui font effet de pur remplissage (de compilation, de catalogue, d’émission TV…).  C’est un peu le cas avec ce nouveau live qui n’apporte pas grand-chose. Pourtant La nuit est là, titre mignon peut-être, mais qu’il n’est enfin pas allé chercher bien loin, avec sa pochette luxueuse façon galerie d’art contemporain et ses noms prestigieux écrits en gros, semblerait volontiers nous faire croire à un peu plus que ce qu’il est vraiment. Evidemment, un disque qui avance masqué de la sorte n’est pas un disque ami.

Alors après, bien sûr, ça balance pas mal. Les chansons de B.B., richement produites en studio, sont parfaitement adaptées à la scène. Il y a ces parties de synthés toutes sucrées, ce sens du groove imparable, les trémolos dans la voix aussi désuets que charmants. Certains des morceaux les plus faibles des derniers albums y gagnent réellement. C’est le cas du très valéryen Bardot’s Dance ou de l’insignifiant Survêt’ vert et mauve (le summum de vulgarité droitière sur Toutes directions) qui deviennent de véritables machines endiablées en live. Surtout quand la plantureuse Blandine Rinkel vient se déhancher dessus pour notre plus grand bonheur, mais ça, ça ne s’entend pas sur le disque. Il y a aussi de très belles fulgurances au piano, les reprises The Rubens Room du méconnu et pourtant génial King of Luxembourg, et Snow, même si n’est pas Claudine Longet qui veut.

Mais les meilleurs moments, c’est au New Morning, qu’ils ont lieu. Les Toulousains d’Aquaserge, chemise de bûcheron ouverte, savent décidément fort bien transformer l’essai. Les structures des chansons sont revisitées avec brio, comme sur cette version quasi afro-beat de Ma rencontre et sa fin tortueuse. Les pièces en bois précieux d’Anonyme Amour (écrite par le meilleur journaliste sportif d’RMC Sport) sont passées à la tronçonneuse pour faire le meilleur bois de chauffe de l’hiver. On regrettera juste que cette collaboration n’ait pas donné lieu à un Bertrand meets Aquaserge, et ce ne sont pas des featurings de Winston McAnuff qui nous consoleront.

Enfin, le répertoire de Burgalat n’est pas composé que d’aspirations à faire danser, quelques perles délicates comme Sous les colombes de granit (probablement sa meilleure chanson), Aux cyclades électroniques ou Réveil en voiture sont tellement bien écrites que n’importe quel appareil ne pourrait leur porter préjudice. Alors, si l’objet a un intérêt relativement limité, il a tout de même pour lui quelque beaux atout, dont celui de rappeler, avec une mélancolie en sourdine, la grandeur passée du King Bertrand.