Choeur et orchestre de San Francisco, Michael Tilson Thomas.


Voilà, depuis Bernstein justement, le chef le plus considérable que l’Amérique nous ait donné. Qui, à la tête de sa phalange de San Francisco, a réalisé en quelques années un travail -car combien de travail faut-il pour atteindre pareil naturel, pareille perfection ?- des plus accomplis de cette fin de siècle : jouant (beaucoup) avec le même bonheur Mahler et Copland, Stravinsky et Mozart, Ravel, Debussy, et Berlioz, aujourd’hui, dont cette Fantastique s’impose comme l’une des plus belles jamais enregistrées, toutes époques confondues.

Et pourtant ! N’avait-on pas Monteux, à San Francisco précisément (RCA), chef et orchestre flamboyants, lecture apaisée et souveraine de cette magnifique épopée symphonique ? N’eut-on pas, plus tard, et dans une forme très française, Thomas Beecham, qui fit résonner l’orchestre national de l’ORTF comme plus jamais on ne l’entendit (EMI) ? Et Munch, bien sûr, aussi inégal qu’inégalable dans ces pages qu’il dirigea tant de fois (s’il fallait retenir une version : celle captée live, à Lisbonne, en 63, chez Montaigne). Jusqu’à nos illustres « révolutionnaires », Norrington et Gardiner, adulés ou exécrés, et qui eurent, quoi qu’on en dise, l’heur de nous faire redécouvrir cette partition dans un son et une façon d’époque : n’en déplaise à certains, ces deux lectures-là resteront incontournables.

Faut-il dire que Tilson Thomas (MTT pour les initiés…) réussit la quadrature du cercle, l’impossible synthèse de toutes ces illustres exécutions ? Inutile de définir par des mots l’incroyable alchimie de cet enregistrement : on pourrait parler de l’harmonie inouïe liant un sens quasi maniaque du détail à l’équilibre d’ensemble, parfait. De la puissance et de la poésie, de la pâte sonore irrésistible d’un orchestre dont tous les pupitres (cordes, bois…) s’entendent et se répondent à merveille. Du travail… fantastique, enfin, sur le son, qui, pour une fois, ne se suffit pas à lui-même mais est là au service d’un vrai projet artistique et technique.

On tient, extraits (rares) de Lélio compris, non seulement l’un des grands Berlioz de l’époque, mais l’un des plus beaux disques symphoniques de ces dernières années, et la confirmation, si besoin était, d’un des plus grands chefs du siècle prochain.

Stéphane Grant