Il semble bien que Britten (1913-1976) ait définitivement atteint le statut de « classique » du XXe siècle. En effet, après le mépris dans lequel il a été tenu par certaines avant-gardes jusque dans les années 80, la nouvelle génération ne refuse plus de jouer ou chanter Britten. A titre d’exemple, citons la production de son opéra Curlew river qui, d’Aix-en-Provence à Paris, a été porté avec succès par de jeunes musiciens prêts à défendre cette musique. Ce disque est donc un pas de plus sur le long chemin de la mémoire musicale. Constitué uniquement d’œuvres de jeunesse -son opus 1 et deux pièces antérieures à celui-ci ainsi que son opus 16 qui ne fut rejoué qu’en 1979, soit 40 ans après sa création- ce disque nous fait découvrir un des visages les moins connus de ce compositeur. Placé sous la tutelle de Frank Bridge (le grand compositeur anglais de la 1e moitié du XXe, auteur d’un fantastique Trio et d’une Sonate pour violoncelle que Rostropovitch enregistra d’ailleurs avec Britten chez Decca), Britten à ses débuts fait preuve d’une expérimentation qu’on ne lui soupçonnait pas. Ainsi cette fantaisie op.16 Young Apollo, fondée sur un poème inachevé de Keats, qui ne module pas une seule fois à la façon d’une œuvre confrontant immobilisme et dynamisme, tel que le Boléro de Ravel : le piano fait des gammes, le quatuor des glissades et la musique devient particulièrement vivante en plaçant l’auditeur dans une situation d’attente.

Défendue par un Kent Nagano qui n’en finit plus de surprendre, cette musique prend des couleurs raffinées alors que la formation orchestrale n’est pas une des meilleures au monde (loin de là). La Sinfonietta op.1 et le Double Concerto, de même structure et de même esprit (d’un premier mouvement rugueux à un finale enlevé en passant par un mouvement lent rhapsodique), sont des œuvres riches par leur texture orchestrale. Si la Sinfonietta, à bien des égards un concerto pour orchestre tel que Bartok a pu le concevoir, ne déclenche pas une véritable passion, le Double Concerto, d’une écriture assez virtuose (la partition d’orchestre n’est pas de Britten lui-même) bénéficie de la très haute prestation de Kremer (une fois n’est pas coutume) et de Bashmet (qui est au moins sobre pour le temps de l’enregistrement).
En définitive, s’il n’y a rien ici d’essentiel dans cette musique, il n’en reste pas moins qu’on se doit de saluer le travail, le sérieux dont les musiciens regroupés autour du grand Nagano (il faut écouter sa recréation du Saint François d’Assise d’Olivier Messiaen qui vient de paraître) font preuve.