Dernier volet d’une intégrale des trios avec piano de Beethoven. Il faut rendre grâce aux vertus des intégrales, car c’est au détour d’un disque comme celui-ci que l’on découvre un chef-d’œuvre peu connu. D’ordinaire, on ne retient en effet que peu d’œuvres de l’immense production de musique de chambre de Beethoven, hormis les dix-sept quatuors à cordes. Bien sûr les dix sonates avec violon et celles pour violoncelle sont également très fréquentées. C’est aussi -un peu- le cas des sept trios avec piano. Mais des transcriptions de Beethoven par lui-même ? Territoire inconnu, partitions vierges.

Composé en 1800, le Septuor pour violon, alto, violoncelle, contrebasse, clarinette, cor et basson connut un succès populaire exceptionnel. Dès 1802, Beethoven en réalise une version pour trio : piano, clarinette (ou violon) et violoncelle. Nouveau succès populaire pour une œuvre aujourd’hui trop ignorée.
La beauté de jeu du Trio Guarneri rend justice à cette musique. Ce trio tchèque est rejoint par Pascal Moraguès, jeune clarinettiste à la sonorité ample et équilibrée. Moraguès est, avec Paul Meyer, le plus formidable représentant de la nouvelle génération de clarinettistes français. Les Guarneri nous aident même à préférer la version pour trio à l’originale pour sept instruments. Car l’esprit de divertimento, avec sa liberté d’agencement, son goût de la sérénade, est magnifié dans cette exécution. Interprétation brillante, efficace de bout en bout, où aucun détail stylistique ne vient gêner une lecture globale de l’œuvre. Le thème du « tempo di minuetto », chéri par Beethoven, puisque réutilisé dans la Sonate pour piano opus 49 n°1, est délicieusement articulé, parfait compromis entre rusticité et élégance. C’est une sérénade dans la meilleure tradition viennoise, celle de Mozart et de Haydn. Une musique qui trouva en son temps un public d’amateur. A redécouvrir aujourd’hui.

La transcription de la Deuxième symphonie pour trio est une autre rareté. Là le ton est celui du drame, puisqu’il correspond à des moments de crise dans la vie de Beethoven (1802 est l’année du testament d’Heiligenstadt dans lequel il révèle sa surdité et songe au suicide). Symphonie de la souffrance donc, qui fut, elle, mal accueillie par les critiques qui la qualifièrent de « monstre mal dégrossi… et même perdant son sang dans le finale, rageant, frappant en vain autour de soi de sa queue agitée ». Elle n’a pas les élans apocalyptiques des œuvres ultérieures et c’est plutôt l’aspect martial qui domine, sa rugosité, sa motricité rythmique.

Le jeu d’un trio ne peut rivaliser avec une grande formation. Beethoven réorchestre donc. Il modifie complètement les lignes de force de sa musique pour un résultat d’une tout autre nature. On pourra comparer cette instrumentation avec la transcription virtuose de Franz Liszt pour piano solo. Autre merveille de recomposition, une relecture qui oscille entre paraphrase et dédoublement illusionniste.

La transcription -d’un septuor ou d’une symphonie- est-elle fusion des timbres ou dissociation des idées musicales ? Peut-on oublier les contours de telles œuvres pour n’en retenir que le contenu formel ? Ces questions sont posées par Beethoven lui-même, et par tous ceux qui s’essayèrent dans l’histoire à transcrire la musique avec une plume critique.

Trio Guarneri ; Pascal Moarguès (cl)
Enregistré à Prague en avril 2000