Gravée entre 1932 et 1935, cette cire mythique est actuellement disponible chez deux éditeurs concurrents (Dante et Arkadia). Cela nous permet d’apprécier les méthodes de restitution de ces enregistrements historiques. Beaux exercices des ingénieurs. Faut-il effacer les bruits de surface des 78 tours, quitte à altérer le timbre des instruments ? Faut-il chercher un compromis entre les plaisirs de la stéréophonie et le souci de vérité ? Rhinocéros unicorne ou bicorne répondrait Eugène Ionesco, tant les interrogations sont ailleurs. Certes, Beethoven fut un génie ; ses sonates sont, au même titre que le Clavier bien tempéré de Bach, la pierre angulaire de l’histoire de la musique.

Certes Arthur Schnabel fut un homme formidable ; un des plus grand pédagogues, pianistes de l’histoire à la conduite humaine exemplaire. Il évita le rôle trop facile du virtuose pour se concentrer sur les chefs d’œuvres du répertoire austro-allemand. Mais quel est ce temps, où non seulement nous faisons pain quotidien d’un répertoire vieux de 200 ans, mais encore où l’on attend avec la soif de la nouveauté des enregistrements d’avant guerre? Faut-il -encore- aimer Beethoven ? Faut-il -encore- aimer Schnabel ? N’est ce pas l’ultime conservatisme ? Nous voici à revisiter « Le crime était presque parfait » puis « Psycho » d’Hitchcock (Gus Van Sant n’est pas Schnabel). Qui voudra encore payer 150 francs l’interprétation d’un Heisser ou d’un Duchâble (musiciens bien vivants) alors que Schnabel ou Michelangeli coûtent 40 -voire 20- francs ? L’heure est au patrimoine, à la célébration… à la manipulation du passé, comme pour excuser le présent. Soit. Baissons les bras, Vive Beethoven, Vive Schnabel. Soyons gais mais ne soyons pas dupes.