Chro_Comment vous partagez-vous la programmation du festival entre Jiess, Pascal et toi ? Avez-vous des goûts spécifiques, des désirs particuliers à chacun qui apparaissent dans la programmation ?
Chaque année on met en place une liste commune d’une centaine de groupes, légendes comme groupes plus récents qui nous ont tapé dans l’œil. Chaque année des noms reviennent, comme par exemple Stephen Malkmus pour Pascal, Iva Bittova pour Jiess ou Family Fodder pour moi. Nos plateaux s’organisent autour des têtes d’affiches, comme Bonnie Prince Billy et Faust cette année, que nous sommes en mesure de pouvoir confirmer. Tous les projets doivent faire l’unanimité mais notre programmation à trois têtes marche bien : on à tous les trois un background musical autant pop qu’expérimental, avec plusieurs figures communes comme Fred Frith, Young Marble Giants ou Robert Wyatt. Chacun, ensuite, ramène ses savoirs-faire et ses réseaux : Jiess est plus informé, par exemple, que Pascal et moi sur les projets les plus récents par ses autres activités de programmation (notamment pour Point Éphémère, Musiques Volantes, Mo’Fo), tandis que sur les formations plus historiques, Julie Tippex, mon agence, a déjà travaillé avec de nombreux projets. On essaie de travailler avec une thématique par soirée et, autant que possible, raconter une histoire, comme sur la soirée du vendredi avec Faust, Ghédalia Tazartès, Charles Hayward (This Heat) et La Morte Young cette année.

Comment adaptez-vous le théâtre et ses places assises à cette programmation très rock ? Quelles sont les qualités particulières de ce lieu (je me souviens d’une très bonne acoustique) ?
Nous prenons la salle comme elle est ! Et nous venons l’habiter, pour partager nos goûts, pendant quatre jours chaque année. Tu as raison : elle est en effet très confortable, avec une très bonne acoustique, un grand plateau et… une bonne équipe d’accueil ! Il y a un petit quelque chose dans l’atmosphère de BBmix, par sa configuration assise qui permet aussi de danser debout, du fait d’être aussi en bout de ligne du métro, qui décrochent les soirées qui s’y passent du temps parisien. Le fait d’avoir une programmation qui s’intéresse davantage à la singularité artistique des projets plutôt qu’à leurs potentiels commerciaux fait le reste : on assiste, chaque année, à de véritables petits moments de grâce.

Tu as déjà répondu à pas mal d’interviews sur vos choix de programmation, mais veux-tu bien quand même présenter ici deux artistes que vous avez programmés ?
Trans Am du label Thrill Jockey, d’abord, qui viennent de fêter leurs 20 ans et qui me font sévèrement tourner les jupes : c’est kraut, électronique, rock, classic rock même parfois, et à la fois super dansant. Ils jouent dimanche avec The Intelligence (avec Petey Dammit de Thee Oh Sees à la guitare) et Turzi. Mais je crois que le groupe que j’attends vraiment de découvrir le plus sur scène pour ce BBmix, c’est Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp. Je connais peu – c’est plutôt un choix de Jiess – ou plutôt par bouts : le très envoûtant album « Rototor » qu’on peut écouter intégralement sur Bandcamp, son batteur, Wilf, qui faisait partie de Dog Faced Hermans, comme son bassiste Vincent Bertholet qui organise le très beau festival Face Z, dédié principalement aux solos, chaque année à Genève. Ce concert, où ils seront accompagnés de Radio Minus Senior Sound System soit Gangpol & Mit en DJ set, est malheureusement complet mais pour ceux qui ont leur billet, je ne serai pas bien loin de la scène.

Peux-tu présenter aussi David (Le Simple) et sa conférence ?
David est un vrai tendre, fou de littérature, de musique, d’art. Il a peu près exercé tous les métiers mais on le connaît principalement comme libraire et cohorte du label Doki Doki. Il faisait déjà partie de la programmation du premier BBmix, en 2005 : il avait passé des disques sous le nom de La Pomme du Jour au concert du Club des Chats. L’inviter de nouveau pour les 10 ans à parler de rock et d’amour, dans une conférence qu’il façonne depuis maintenant quelques années, nous permettait de former une boucle, mais aussi de dévoiler, je l’espère, une partie de ce qui pour nous se trame dans l’énergie que nous pouvons fournir chaque année pour BBmix, cet amour moteur de tout. David et moi fonctionnons tous deux très forts à l’affect et faisons partie de ce qu’on appelle le Club des Cœurs de Poulet : une société secrète, mais finalement très étendue, dont les membres recouvrent d’une histoire, d’une attente, d’un état, chaque musique. Sa conférence promet de « décortiquer les chansons les moins avouables et faire coming-out romantique de ceux que vous preniez pour des blousons noir ». Qui n’a pas envie de savoir ?

Enfin, tu as d’autres activités avec Studio Walter. Peux-tu nous en parler ? Que pourra-t-on voir/lire/entendre prochainement ?
Studio Walter c’est le nom que j’ai donné à l’atelier que j’ai formé dans ma tête pour travailler sur quelques unes de mes obsessions, comme le rock et l’amour et les musiques imaginaires, des sujets que toutes mes activités recouvrent et dont j’essaie de former une figure, une définition. Alors je tiens carnet et, parfois, un projet se précise sur l’un de ces sujets. Ça peut prendre la forme de textes théoriques, littéraires, de propositions philosophiques, d’installations, de programmations. La première étape était une proposition sur les épiphanies de lieux au printemps dernier à Bruxelles. La suite sera présentée au Lieu Unique de janvier à mars 2016 et portera sur les machines célibataires, avec notamment des pièces de Michel Carrouges, Pierre Bastien et Marcel Duchamp. Ces projets sont présentés sous le nom de Collection Morel, un dispositif qui a pour champ d’origine la recherche en esthétique, mais pour lequel je souhaite des formes élargies, organiques. Le but étant surtout à chaque fois pour moi de relier théorie, activité et ressenti, de faire en sorte que plusieurs langages puissent coexister au même endroit, qu’ils soient théoriques, pratiques comme poétiques. J’expérimente ! Et avance sans cadre, même si les prises d’existences de Jean-Yves Jouannais et Enrique Vila-Matas ont sur moi une certaine influence. Il s’agit surtout d’épanouir, je crois, la littéraire qui est en moi : les livres m’ont menée à la musique qui m’a menée aux livres. Avec BBmix, on a formé une belle bibliothèque d’instants de 10 ans. C’est plutôt une jolie chose à faire !

 

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