Sur Good luck, la merveille neo Philly qui ouvre Kish kash, le troisième album de Basement Jaxx, on peut entendre une absurde onomatopée dans les interstices de programmations de batterie: « tcha-kapoum-kapoum ». Ca n’a l’air de rien, mais ça m’a tout l’air d’un nouveau « tutti frutti » et ça en dit long sur les intentions de la meilleur formation house en activité : derrière les chansons, c’est une étrange obscénité qui traverse le disque de sa première à sa dernière question, et elle est digne de grands classiques rawk’n’roll. Toujours hystérique, bourré jusqu’à la gueule de détails en cascade et d’idées formidables, Kish kash est aussi une suite idéale au précédent Rooty, qui avait, résumé de l’épisode précédent, pulvérisé dix ans d’effort frenchy dans la tentative de résumer ce je-ne-sais-quoi du groove de Kiss (Prince) et French kiss (Lil’ Louis) avec des legos et des bras articulés. Les premiers maxis Atlantic Jaxx, il y a maintenant une éternité, annonçaient avec bruit et fureur de jolis déclarations d’intention libertaire (on peut faire bouger vos booties avec ce qu’on veut, de la samba dégueu ou du harsh noise, et vous allez aimer ça les enfants), Remedy assemblait un Eden d’idées machiavéliques, Rooty a tout pulvérisé, codes et esthétiques. Aujourd’hui, Kish kash commence avec le même son d’intro que son prédécesseur, quelques violons disco un peu gentils, une voix soul beugleuse (il paraît que c’est la chanteuse des Bellrays, mais je ne connais pas les Bellrays et à vrai dire je m’en fous, Basement Jaxx fait chanter tout le monde de la même manière, ce qui fait que toutes leurs chanteuses ont la même voix) et tout semble rentré dans l’ordre.

Mais, je vous l’ai dit, il y a aussi les gros mots cachés en arrière plan. A exactement 2 minutes et 33 secondes, ce qu’ils disent envahit tout. Le breakbeat devient machiavélique, une guitare casse le gimmick disco, et Kish kash devient une vraie bonne proposition rock’n’roll. On remet ça après un break incroyable (comme The Chemical Brothers, Basement Jaxx a tout compris à l’éternel débat analogique / numérique, et leur soupe est exactement équilibrée) sur Right here, Here’s the spot (je traduis pas), sur Supersonic, qui pique pour la énième fois le coup du sample de blues à Dr Dre (rappelez vous l’ancêtre boys R&B Blackstreet) pour faire hurler entre deux notes de bruit et d’harmonica un « gimme taste, gimme fury, gimme some more » vieux comme le monde, mais que plus personne n’osait nous faire. Puis sur le chef-d’oeuvre funk Plug it in aussi, qui vole à Add N To X une bonne phrase salace pour en faire un chorus virevoltant (Plug it in, Baby, implore une cochonne, et Basement Jaxx exécute son double discours vieux comme la musique. Branche-moi. Débranche-moi. Je suis un jack qui buzz, j’appartiens à Joey Ramone, et je veux baiser Britney Spears).

Alors, simplement musicalement, c’est éblouissant : le duo empile les sons et les gimmicks, exécute la plus brillante démo crossover entendue depuis une éternité. En expérimentateurs passionnés, les deux idiots (ils le sont, c’est connu) essayent toutes les combinaisons soniques possibles, jusqu’à l’épuisement (après trois morceaux, l’entendement dit stop et n’entend plus que la pulsation). Il faut pourtant aller au-delà de la magnifique compression de l’ensemble pour rentrer dans les détails vertigineux et les bonnes idées à la pelle, les rythmes éminemment complexes et toujours évidents, pour se rendre compte à quel point ces deux artisans dance sont dévoués à leur cause et déterminés à vous faire croire à la Lune : pendant que 99,9% de la house nation se complait avec des boucles à l’infini et que le R&B s’amuse avec trois syncopes simplistes, Basement Jaxx construit des édifices géants de bruit et d’atrocités, et arrive à les faire passer pour des morceaux de bravoure sensuelle. A noter qu’ils ne l’ont jamais aussi brillamment fait que sur les quatorze plages fielleuses de ce Kish kash passionné. Il y a des moments où ils vont un peu trop loins (Tonight avec sa mélodie pauvrette, Lucky star et son vulgaire gimmick raï que le très défendu Dizzee Rascal ne sauve pas de ses hurlement rococo) mais, comme à chaque fois, ils caressent là où ça fait mal. Il y en a pas mal que Basement Jaxx, là, fatigue. Je comprends leurs arguments. Mais musicalement, je me répète, on n’avait jamais fait de la dance music ni parlé de S.E.X. avec autant de talent et de créativité depuis bien longtemps. Je vais dire Sign O’ the times, je vais m’emballer, mais je le pense.