29 ans, trois albums en leader, une apparition éclair au cinéma (il joue, et pas seulement du piano, dans le Nouveau monde d’Alain Corneau, au milieu des années 90), une pluie de récompenses cueillies sur tous les podiums de l’hexagone jazzistique (prix de soliste à La Défense, Django d’Or, Prix du concours Martial Solal, Victoire du Jazz, on en passe) : voilà sans doute ce que l’on appelle un parfait début de carrière. Baptiste Trotignon, dont on avait déjà goûté le remarquable Sightseeing en trio voici deux ans, est fort heureusement autre chose et plus que le gendre musical idéal que laissent deviner les articles de presse et les prix d’excellence sus-listés : l’homme n’est pas du genre à s’endormir sur les lauriers qu’on lui envoie de toutes parts, continue à décortiquer jusqu’aux os les disques de ses aînés (Trotignon est une bête de combat au blindfold test) et, avec une belle audace, se lance dans la dangereuse aventure du solo avec onze thèmes issus de sa plume. Sa longue formation classique (premières gammes à l’âge de 9 ans, virage jazz cinq ou six ans plus tard, puis entrée dans la classe jazz du Conservatoire de Paris et débuts d’une intense vie nocturne dans les clubs) lui donne une aisance technique qui lui autorise toutes les facéties et des acrobaties rythmiques qui marquent nombre de morceaux de ce Solo réussi de bout en bout ; l’élégance du jeu, l’attention extrême portée à l’harmonie et le goût des atmosphères intimistes évoquent parfois Brad Meldhau, dont il se différencie toutefois nettement en refusant le romantisme appuyé et en privilégiant les jeux sur le tempo et le rythme (les titres sont d’ailleurs explicites : Youpala, Urgences…) Loin du minimalisme, Trotignon sculpte le son dans la masse, tressant des arabesques virevoltantes et virtuoses du meilleur effet ; manque, peut-être, un brin de chair ou de contraste dans cet album par ailleurs admirable, qui laisse augurer du meilleur quant à la stature d’un musicien dont l’oeuvre ne fait que commencer.