La physique, c’est fantastique: les fréquentes collisions qui se produisent au sein de la nébuleuse musicale montréalaise (les réjouissants Duchess Says, PyPy, Red Mass…) ont fini par donner lieu à un Big Bang. Un Big Bang en forme de superband, puisque Avec le Soleil Sortant de sa Bouche réunit des membres de Red Mass, Pas Chic Chic et moult autres formations. Surtout, en retrouvant le pilier Jean-Sébastien Truchy et le guitariste Eric Gingras, le groupe semble prolonger l’œuvre des regrettés Fly Pan Am. Possible aboutissement d’une succession d’agrégats et d’entrechocs, ALSSDSB se pose justement cette belle question de pure forme: comment agencer des fragments et, partant, ordonner le chaos ?

Car, à l’image de sa superbe pochette, Zubberdust! propose d’abord à l’auditeur un kaléidoscope explosé où les poussées punk (qui ouvrent l’album et reviendront le pilonner par embuscades) se résolvent en mouvements disco, et où un krautrock millésimé rebondit sur des ressorts digital-funk. On croise aussi, en plein vol entre tropicalisme et orientalisme, des accents afro puis eastern europe: nous désorienter pour mieux nous ré-orienter, voilà le projet de cette musique savante autant que festive, dans le meilleur sens que peuvent prendre ces deux termes souvent ingrats. Car malgré ses progressions empruntées au jazz, l’intelligence de Zubberdust! échappe à l’intellectualisation, et au passage rend caduque l’étiquette « post-rock » qu’on serait trop rapidement tenté de lui accoler. Le rock instrumental des québécois relèverait plutôt de l’ « avant ». Avant la définition des genres, avant le langage aussi: pas de mots, mais des voix (des voix ET des vocals, le livret fait le distinguo). Des choeurs extatiques qui confèrent, avec les accords que plaquent les synthés, une dimension lysergique (psychédélique, incantatoire, impudente) à l’édifice; plus loin, c’est un chant hoqueté à la Byrne ou d’inintelligibles bribes de conversation en field recording qui se fondent dans le mix. Certains contrepoints mélodiques portés par ces voix trouvent écho d’un titre à l’autre, renforçant la grande cohésion d’ensemble d’un disque où chaque idée développée trouve ailleurs son origine ou sa résolution.

 

 

L’essentiel de l’album est constitué de deux longues pièces maîtresses, « Face à l’Instant » et « Super Pastiche Fantastique/New Sun », toutes deux découpées en quatre chapitres. Deux ultra-morceaux auxquels viennent discrètement répondre deux infra-morceaux, les évanescents « Déjà, Hier… » et « A Partir de Dorénavant » -on remarquera que dans ces intitulés il est presque toujours affaire de temps. Si la répétitivité est le principal moteur des compositions, jouant l’exténuation de chaque motif pour régénérer des morceaux qui viennent épisodiquement se fracasser contre des murs rythmiques, cette question du temps s’applique aussi au séquençage des titres. Une fois le chaos organisé en grands ensembles, Le Soleil le re-découpe en chapitres pouvant être écoutés séparément, même si on ne saurait que trop recommander la prise de ces quarante-cinq minutes effervescentes en une traite. Ce découpage fait preuve de la même malice qui est à l’œuvre dans la composition, avec des bascules qui souvent surgissent en plein climax. Note pour plus tard: essayer Zubberdust! en mode shuffle, ou pourrait avoir des surprises.

Radwan Moumneh, de Jerusalem In My Heart, produit l’ensemble, et l’impressionnant travail de studio ouvre une large fenêtre sur les qualités live de la formation. On ne s’étonnera pas que sa réputation scénique soit solide, tant on pense à un Silver Mt Zion qui aurait troqué l’inquiétude contre une euphorie extatique et contagieuse, teintée quand même de la vague angoisse des montées vers rien, des sauts dans le vide. Mais, grâce notamment aux frottements analogique/digital et à ces belles textures où l’on entend les peaux, cette musique a du corps. Elle électrise les nerfs et tend vers la transe. Si le disque se clôt sur la sublime mélancolie de « A Partir de Dorénavant », tout ce qui précède la brusque rupture finale de « Super Pastiche Fantastique/New Sun IV » aura ressemblé à une chevauchée dansante et ininterrompue jusqu’au plus haut: to the toppermost of the poppermost!

pourrait être une approximative traduction de « Zubberdust! », toujours plus haut dans l’extase, en permanence dans l’excellence. La mission est accomplie au point d’aboutir à une eschatologie de l’espérance: Avec le Soleil Sortant de sa Bouche substitue aux chants de la fin du monde une danse des commencements.