Après une grosse année à se traîner Señor Coconut dans les festivals, 2009 fut une année faste et presque furieuse pour le Roi (c’est lui qui le dit) Uwe Schmidt, alias Atom™ alias Atom Heart alias Bund Deutscher Programmierer alias Lisa Carbon alias .. /.. (insérer l’un de ses soixante pseudonymes au choix) : outre quelques saillies énigmatiques (le très étrange Muster, aplat expressionniste abstrait de matières digitales opaques), la magistrale embrasure Liedgut par laquelle il revenait au coeur de l’atome kraftwerkien fut, sinon une table rase pour la musique électronique toute entière, le premier événement majeur de son endémique discographie depuis une éternité. Et 2010 le voit déjà dans une verve ahurissante, presque fiévreuse. Ennemi affirmé du format MP3 qu’il considère comme un symptôme de décadence culturelle (« MP3 stands for low orality, MP3 means audio poverty, predominance of quantity, cultural disintegrity, MP3 is not for me »), il consent enfin depuis peu à rendre disponible ses oeuvres épuisées au catalogue de son label Rather Interesting en qualité correcte et réserve même certaines oeuvres à iTunes.

Ainsi le très étrange Mole C d’Atom™, sorti probablement volontairement sans bruit il y a quelques semaines sur la plateforme d’Apple, et qui risque peu de se retrouver highlighté dans une newsletter Boomkat. Peut-être motivé par une revisitation laborieuse de ses oeuvres passées (le journal de bord de sa page Myspace, qui est son seul lien avec l’extérieur, indique souvent « remastering back catalogue, research of audio-and visual archive »), Schmidt semble avoir conçu les errances digitales et diatoniques de cet album en concaténant aléatoirement les fichiers de son énorme discographie (tous pseudonymes confondus, ça dépasse largement la centaine). Pourtant sa proposition ressemble moins à un manifeste libertaire sur les bienfaits du collage (même si un fragment ambient s’appelle « Kool Herc », inventeur involontaire du hip-hop) qu’à un méchant foutoir labyrinthique. Le titre de l’album n’a certainement rien à voir avec la concentration molaire, la pochette (vilaine) ressemble à un Jardin des délices revisité par Raymond Hains qui aurait découvert Photoshop, les titres au choix crétinissimes (Cats & dogs & dats & cogs & docs & cots & dots, Regurgipants) ou cryptiques jusqu’à la démence (Quality filtering sister, Honeybee hexcode haberdashery) n’ont rien à voir avec la musique et on soupçonne fortement Schmidt d’avoir sous-traité le choix des fichiers à un objet Max / MSP. Et pourtant : paumé dans le dédale des dissonances et des frottements des échantillons et des ambiances qui se chevauchent, se brisent ou s’annulent, l’esprit s’accroche sur les pulsations des beats qui émergent, sur la richesse des matières, reconnaît quelques fragments au passage, s’amuse et s’assoupit et ça fait un beau bonheur d’écoute, même si on est encore loin de la vue d’ensemble promise il y a peu par l’Allemand à propos d’un Grand Tableau Electronique qu’il serait en train de peindre.

A la fois plus sociable et tout autant obscur dans ses intentions, Music better than pussy (d’ores et déjà en lice pour le meilleur titre d’album et la pire pochette de l’année) sort simultanément sur iTunes et en CD méga limité et marque le énième retour de Schmidt à cette house potlatch, super funky et super imprédictible qui a fait le buzz de son excellent Atom™ Re-invents the wheel E.P., sorti il y a deux ans sur le label parisien Logistic. Maniant le mille-feuilles de son ironie toute teutonne et la polyrythmie du f.u.n.k. (« funk is what you don’t play, it’s the space between events ») avec la même insolence et la même dextérité, l’Allemand réussit l’exploit de produire une musique simultanément autoréflexive comme un joujou critique postmoderne (« Clicktrack » est construit autour du clic de Protools) et futuriste et fantasmagorique comme un disque d’Autechre. Surtout, à l’instar de celles Isolee ou The Mole, sa house est aussi curieuse qu’insidieusement efficace, étirant le groove entre les séquences droites comme des i de 909 ou de Linndrum et les répétitions contrariées des textures copulant au premier plan. Mine de rien, la maestria et l’amour de l’innovation à l’oeuvre dans ces cinq champs de groove (ou de steak haché ?) est presque propre à faire oublier tous les maux qui minent la musique électronique contemporaine (le purisme, les photocopieuses, les horribles coupes de cheveux) et à nous ramener aux émerveillements quasiment quotidiens qui la faisaient dérailler chaque semaine il y a encore une dizaine d’années. Le premier qui traite Uwe Schmidt de dinosaure aura affaire à moi.