Parler d’Arthur Russell, c’est d’abord prendre acte de la constitution d’un nouveau mythe musical. Qui connaissait réellement le travail de ce compositeur, chanteur, violoncelliste américain, oublié et inconnu il y a encore quelques mois ? Né en 1951, mort du sida en 1992, Arthur Russell fut l’homme de mille rencontres et collaborations dans le New York arty des années 1970 : Allen Ginsberg, Philip Glass, Laurie Anderson, Rhys Chatham, David Byrne… Bouleversé par la découverte du disco, il publia une poignée de maxis sous divers pseudonymes (Dinosaur L, Loose Joints, Indian Ocean), que Soul Jazz vient de rassembler sous une hideuse pochette et un titre trompeur, The World of Arthur Russell. Il s’agit d’une parcelle de ce monde fascinant (pourquoi avoir omis le séminal premier maxi, Kiss me again ?), enfin ouvert aux néophytes. Cette compilation a surtout le mérite de mettre en relief le travail charnel et cérébral de déconstruction du disco effectué par Russell, auquel viennent répondre les versions de Walter Gibbons et Larry Levan, sorciers du genre.

Calling out of context, recueil de maquettes plus ou moins abouties, permet de mieux saisir et de confirmer ce que fut Russell : un expérimentateur infatigable, amoureux des rythmes et des musiques du monde, et un chanteur d’âme, entre Marvin Gaye et Nick Drake. Au-delà de la patine eighties propre à la technologie de l’époque, chaque chanson est à la fois champ de recherche et chant d’amour, où structures et textures se répondent, se rejoignent, se confondent. Ni pop, ni avant-garde, toujours sur la ligne de partage fragile entre deux, cette musique est également un tribute-in-progress au blues, au jazz, à la soul, au funk, au disco, faisant et défaisant les unions au gré de son avancée.

Un thème récurrent dans l’oeuvre de Russell est fait d’eau : rivière, fleuve, océan. En témoigne The Platform on the ocean, longue transe électronique et morceau de bravoure de ce recueil. Hasardons l’hypothèse que cette musique soit « océanique » par nécessité. Nécessité de rejoindre, de retrouver le continent originel, cette Afrique fantasme, de rendre hommage et justice à ceux qui firent grandement la musique américaine. Musique comme perpétuelle adresse à l’autre, étranger ou amant, musique comme lieu inépuisable des retrouvailles, comme inépuisable épiphanie.