C’est le metteur en scène grec Yannis Margaritis qui a commandé à Arild Andersen une musique moderne pour sa mise en scène de l’Electre de Sophocle, de manière à donner à cette oeuvre écrite vers 420 avant Jésus-Christ une atmosphère musicale pleinement ancrée dans le XXIe siècle. Le prenant au pied de la lettre, le contrebassiste norvégien s’est entouré de quelques-unes des meilleures pointures de la galaxie du jazz scandinave contemporain, galaxie où il fait office d’étoile polaire (tout comme les autres grands « piliers » qu’en sont Jan Garbarek ou Terje Rypdal) : l’incroyable Arve Henriksen et sa trompette liquide aux sonorités d’instruments ethniques (sakuhashi, duduk) ; le programmateur Nils Petter Molvaer, qui a abandonné la sienne (de trompette) au profit d’un set de percussions électroniques ; le guitariste Eivind Aarset, dont on connaît bien le son rageur et le lyrisme directement hérité du grand Terje Rypdal, sa principale influence (on s’y méprendrait sur The Big lie). A ce quatuor de fortes têtes s’ajoutent les percussionnistes Paulo Vinaccia et Patrice Héral et, côté vocal, Savinna Yannatou, Chrysanthi Douzi, Elly-Marina Casdas et Fotini-Niki Grammenou. Résultat : un album à l’écoute duquel les familiers du jazz electro qui vient du froid se sentiront rapidement chez eux, même si les parties vocales à proprement parler l’éloigneront un peu de ses repères ; Arild Andersen donne d’Electre une interprétation introvertie et sans heurts, faisant appel à toutes les ressources de l’électronique (boucles, effets). On regrettera le côté appuyé et artificiel de certaines parties chorales qui, détachées du contexte scénique auquel elles sont normalement destinées, sonnent parfois un peu toc ; pour le reste, les inconditionnels du célèbre bassiste norvégien (qui reste par ailleurs un formidable compositeur, sans parler de son énorme et véloce son de basse) et les amateurs du genre nordique ne devraient pas être déçus, sans trouver cependant de raisons de crier au chef-d’oeuvre dans cet Electra abouti mais sans surprise et parfois, il faut bien l’avouer, légèrement lénifiant.