L’année dernière, plusieurs événements notables ont fait de la pop (ce genre musical particulier, inventé par les Beatles, magnifié par les Beach Boys ou les Zombies, pour simplifier) l’activité musicale la plus innovante et la plus singulière de l’industrie discographique. D’abord, la sortie du Blueberry boat des Fiery Furnaces a remis les pendules pop à zéro, en ravivant l’esprit aventuriers des 60’s (celles de A Quick one while he’s away des Who notamment), en réinventant la pop-song, l’intrication complexe de couches de sons et de sens, de mélodies savantes et d’harmonies en étagères, de chausse-trappes pleins d’évidences et de longues phrases de proses chantées. La pop a retrouvé là ses lettres de noblesse. Puis on a reçu de plein fouet la reconstitution alchimique d’un chef-d’oeuvre perdu des 60’s, le Smile de Brian Wilson, cette « symphonie adolescente à Dieu » recomposée du néant et de quelques souvenirs embrumés, à partir d’un ADN sous neuroleptiques : un rêve américain, avec ses condensations, ses déplacements, ses anamorphoses, formant le plus beau rébus pop de ce début de millénaire, un enchevêtrement orgiaque et pourtant parfaitement maîtrisé d’harmonies -pile-poil, tout y est à sa place, comme une mécanique céleste à destination des grandes ondes radiophoniques. Enfin, le petit Sufjan Stevens est arrivé avec son album Illinoise, long en temps et en bouche, un projet herculéen (ses douze travaux seront les cinquante états d’Amérique) et l’énorme ambition de synthétiser tout ça (le présent et le passé, l’histoire et la géographie, l’intime et le collectif) en accouchant d’une pièce maîtresse de l’histoire de la pop, traduisant en termes d’aujourd’hui sa diversité obsessionnelle (ces changements de tonalité incessants, ces morceaux en quatre, cinq, six, parties distinctes) et sa ferveur transcendante. Aujourd’hui, une pierre s’ajoute à cette petite cathédrale baroque que sera la pop du XXIe siècle, une petite pierre concentrée, intense et dense petite boule de gaieté et d’inventivité, et pourtant une des pierres angulaires (s’il peut y en avoir plusieurs) de ce bel édifice : In case we die, d’Architecture In Helsinki.

Comme ses illustres prédécesseurs, l’octet australien prouve à qui en douterait encore que pop et schizophrénie peuvent faire excellent ménage, à cette différence près que la schizophrénie d’AIH s’accompagne d’un sévère déficit de l’attention, cette petite pathologie de cours d’écoles. Quand ses aînés prennent leurs cinq bonnes minutes pour leurs symphonies de poche, ménageant les ponts et le suspense, gonflant aux harmonies leurs Good vibrations synthétiques et lettrées, AIH expédie le tout en deux-trois minutes chrono, sautant d’une section à l’autre avec l’élasticité du lapin blanc dans le terrier d’Alice, toujours un peu en retard sur lui-même, petit animal fou de course éperdue. Neverevereverdid, ainsi, ouvre l’album sur des tambours et choeurs gothiques à la Fantômas, enchaîne sans prévenir sur une nursery rhyme de petites percussions et de pianos martelés, saute à pieds joints vers une surréelle marche militaire de cors de chasse et se finit en cavalcade power pop avec chœurs en falsetto. Le tout, ramassé, comprimé, densifié et accéléré comme ayant un beau diable à ses trousses. Et les douze titres et quarante minutes de l’album sont du même acabit, quelque part entre les Os Mutantes (associations libres, percussions folles, instrumentarium délirant), les Moldy Peaches (non sense infantile des lyrics, le côté chorale lysergique, bonne humeur irréductible) ou Huggy Bear (guitares énervées, cris dans le dortoir, coq à l’âne punk). On imagine bien les huit membres d’AIH dans leur studio, un peu babas, un peu punks, se tenir en cercle par la main et brainstormer sur la suite à donner à tel début de morceau, telle couplet sans queue ni tête, accumulant à tour de rôles les sections indistinctes, recollant le tout en une débauche d’ébauches qui formera au final ce puzzle fragmenté et hystérique, entre pastiches et juxtapositions, extase et frustration, que forme au final ce petit monument d' »experimental pop » qu’est In case we die. Même si on en sort la tête vide, parce qu’on n’a rien compris aux lyrics (qui ne veulent rien dire : Do the whirlwind, littéralement : « Fais le Moulin à vent ») et parce qu’on en sort soufflé, essoufflé, ce disque distille au quart de tour sa bonne humeur juvénile, comme une fanfare de collège, une revue de pom-pom girls, une chorale de teletoons, armée de plus d’idées à la minute qu’il n’est possiblement humain d’en avoir. Et c’est là tout le bien que cette pop légère nous apporte : une certaine idée du bonheur (d’être ensemble, de chanter à tue-tête, de taper sur un tambour). Loin de la lourdeur messianique et de l’esprit de sérieux des chorales pop de ces dernières années (Polyphonic Spree, Mercury Rev), cette twee-pop est un pur moment d’extase, avec ses refrains-slogans, son humour potache et son immaturité décomplexée. Sa violence spontanée, sa franche impureté, son côté adolescent casse-gueule en font la plus belle renaissance pop du nouveau millénaire.