Bruckner a divisé, divise et divisera. Bruckner ou le mysticisme post-romantique symphonique. Bruckner ou « l’éternité c’est long… surtout vers la fin ». Arrêtons là ces affirmations publicitaires pour s’intéresser plus avant à la musique. Entre les fanatiques et les contempteurs, il est encore possible de se faire un avis raisonné, une place, sans pour autant tomber dans un quelconque consensus musical fabriqué par l’histoire. S’il peut y avoir consensus, c’est uniquement autour de l’interprétation de Wand, premier responsable de notre adhésion.

Wand ou le dernier survivant (il y en a toujours un) ! Né en 1912, contemporain exact de Celibidache, de 4 ans plus jeune que Karajan (mort il y a 10 ans au cas où vous ne l’auriez pas remarqué), Wand existe réellement pour la France depuis à peine 20 ans. En 1979 sortait sa première intégrale des Symphonies de Bruckner avec l’Orchestre symphonique de la radio de Cologne. Puis il y eut Schubert, Beethoven et Brahms. De l’Allemand, du vrai. Du romantisme, le seul. En 20 ans cependant, ses interprétations ont toujours défié la critique… jusqu’au mea culpa général du début des années 90, comme pour s’accrocher à un passé, à une tradition.
Wand fait partie de ceux aussi avec qui le jeu des comparaisons est le plus grisant. Pas moins de 4 versions pour la 9e de Bruckner. Une continuité dans l’évolution. Du premier enregistrement officiel à ce concert, Wand a fait preuve d’un même souci analytique, d’une constante recherche en matière de timbres, d’architecture. Wand ou un forgeron de la matière sonore. Son outil est ici l’Orchestre Philharmonique de Berlin, soit le meilleur orchestre du monde dans ce répertoire.

Il fallait au moins eux pour mettre à mal les a priori sur la musique de Bruckner qu’on résumera en un certain talent pour composer des thèmes, mais une insupportable propension aux longueurs. Bruckner et son impuissance. Neuf œuvres sculptées dans du granit pourtant. Bruckner ou l’expérience musicale christique par excellence. Car Bruckner constitue tout autant l’aboutissement de la symphonie au 19e siècle, que le prolongement du chant grégorien et de la musique organique. La dimension spirituelle de cette musique a longtemps échappé (à nous en particulier) aux auditeurs. Wand est peut-être celui qui a le plus fait pour réhabiliter, épurer Bruckner. Cette 9e Symphonie, « cathédrale symphonique », véritable « adieu à la vie », vous accompagnera toujours. Inachevée, en 3 mouvements, exploration entre temps et espace, cette symphonie découvre le vide. Le mouvement est comme statique, suivant pourtant un cours imperturbable. Le mouvement des étoiles en somme. Comme une musique « si loin, si proche » surtout…