Malgré les efforts du Quatuor LaSalle pour sortir de l’oubli les Quatuors de Zemlinsky, peu de formations s’y sont attaquées. Pourtant, il y a dans cet ensemble autant de génie que dans ceux des Berg, Schoenberg, Webern. Il est vrai aussi que Zemlinsky n’a pas eu droit au même dévouement fanatique de Pierre Boulez, exégète acharné des 3 Viennois. Beau-frère de Schoenberg, créateur d’Erwartung, Zemlinsky a entretenu des rapports évidents avec la nouvelle école viennoise. Une chose le différencie véritablement : il n’est pas passé de l’autre côté du miroir, il n’a pas érigé de grammaire en matière de composition. Bref, il n’a pas eu la tentation du dogmatisme. Son expressionnisme lui suffisait.
Le 3e Quatuor, étonnamment concis, est d’une exceptionnelle force émotionnelle : de forme sonate, le 1er mouvement alterne dans un contrepoint développé une atmosphère nerveuse et un lyrisme ample et statique ; les 7 variations du 2e mouvement, et fondées sur un matériau mélodique réduit, figurent l’incertain et sont un clin d’œil au dodécaphonisme de Schoenberg ; la Romance est d’une étonnante « écriture blanche » tandis que le 4e mouvement est un « à la manière de » savant qui fait référence au Rondo-Burleske de la 9e Symphonie de Mahler.

Le 4e Quatuor, tombeau à Alban Berg décédé un an auparavant, reprend la structure en 6 parties (3 actes faits chacun d’un diptyque lent et vif) de la Suite lyrique dont Zemlinsky est le dédicataire. Cette œuvre, témoin de sa lutte dans un pays où il ne se reconnaît plus, ne retient que l’essentiel : sans aucune emphase, les thèmes se métamorphosent, muent mais ne s’imposent jamais véritablement. Véritable chef-d’œuvre, on doit sa résurrection au Quatuor LaSalle qui en donna la 1ere mondiale en 1967.
A ces 2 Quatuors s’ajoute le Quatuor (pour la première fois au disque) de Müller-Hermann qui, en contemporaine de Zemlinsky, vient agréablement conclure le programme. Moins moderne, moins innovant, ce quatuor, dédié à Zemlinsky, dénote un sens de la forme et de la mélodie rares.

Le Quatuor Artis offre une interprétation exemplaire de toutes ces œuvres : densité, violence, pâte sonore presque symphonique, retenue, humour s’y mélangent. La variété des couleurs, leur timbre à la fois homogène et différencié leur permettent d’en rendre toute la richesse harmonique et rythmique. Ils redonnent ainsi toute leur sensualité romantique et épure expressionniste aux quatuors. D’une très grande maîtrise et rigueur, l’équilibre sonore est exceptionnel. Le Quatuor Artis (qui a déjà enregistré les 2 premiers quatuors) livre les versions modernes de référence de cette musique exigeante.