Depuis la parution en 1998 des singles (aujourd’hui épuisés) de Daa, Avrocar/Magnetophone, Color und Climax, le label brestois Active Suspension a mené son bonhomme de chemin. Entre temps installé sur Paris, le label défricheur a creusé de nouveaux sillons en révélant quelques activistes électroniciens depuis hébergés par Evenement (Shinsei), Clapping Music (Encre), ou Gooom (Gel:), en accueillant quelques amis d’Evenement (O.lamm, My Jazzy Child), tout en continuant de soutenir ses premières amours (Mils, Osaka) et de découvrir de nouveaux talents (Melodium, Domotic, Aerosol). Résultat : un fond de catalogue exemplaire de 25 références, autant de propositions singulières (musique laptop, aux instruments, platinisme) pour un label qui ne l’est pas moins. Ce que les onze titres de la compilation Variable access (au packaging soigné et inventif) illustrent impeccablement.

Loin de ses habituelles abstractions sonores, My Jazzy Child (Michele Fink) étonne par la soudaine immédiateté de sa musique, affublée ici (grande coquetterie) d’une mélodie pleine de mélancolie. Sur fond de craquelures de vinyles, sa comptine réinvente ces boîtes musicales d’un autre temps d’où s’échappe comme des flocons de neige, la poésie évidente de notes en suspension. Une limpidité à laquelle est étrangère la beauté contrariée de Tu me manques par Shinsei qui fait émerger de textures saturées à la Oval des boucles enivrantes et sautillantes. Fidèle à la pulvérisation des structures mélodiques et à son esthétique de la fragmentation, l’electronica de Dorine_Muraille (aka Gel:) se réchauffe ici au son d’une voix étrange et de collages acoustiques plein de soleil, pour un Triviana, nuire méchamment court qu’il faut passer en boucle. Faire tenir un orchestre dans une chambre, c’est le miracle auquel est parvenu Encre sur l’hypnotique Hassan. Par le jeu de structures incroyablement savantes fourmillant de détails sonores, on y entend une flûte se frayer un chemin entre cordes frappées de piano, envolées de cuivres, armées de bois, cascades de cordes et avalanches de timbres. En comparaison, Osaka (clavier-guitare) passerait presque pour un groupe chiche en instruments et donc austère… Erreur bien sûr tant leur A think within a think, habité par les murmures d’Electroscope, se montre envoûtant comme une balade pluvieuse de Piano Magic.

Conjointement à Variable access paraissent les 12″ d’Aerosol et d’Hypo, dont on retrouve des extraits sur la compilation. L’electronica du Danois navigue entre Boards of Canada et Autechre en jouant sur une série de contrastes (sonorités chaudes/froides, liquides/solides, surfaces lisses/rêches…) opposant nappes de claviers, superposition de mélodies délicates, étirement des sonorités douces et rythmique aride tour à tour hésitante ou abrupte. Ses morceaux, comme immergés dans un volume d’éther, ressemblent à des sculptures sonores, où les coups de clicks remplaceraient les coups de burin.

Dans le sillage de son foisonnant album Kotva, Jingles & singles de Hypo multiplie au pas de course collages abondants, ruptures de tons, décrochages, rythmiques déjantées, inserts acoustiques et réminiscences new wave. Lorsqu’elle n’est pas mélancolique (Undercovered, Beagle), la musique de Hypo est un foutoir permanent où les quelques voix se font aussi barrées que les mélodies. L’air de rien, le propos d’Hypo est des plus ambitieux puisqu’il ne s’agit pas moins de redessiner les contours de la pop, en lui inventant de nouveaux modes d’expression.

Nul besoin de préciser que c’est chez un label comme Active Suspension que la musique trouve aujourd’hui ce qu’elle a de plus intéressant à dire.