De par sa forte personnalité, Abbey Lincoln peut à elle seule porter une soirée, son honnêteté et son intensité sont particulièrement évidentes quand on la voit sur scène. Sur disque, c’est plus difficile. Il y a des moments, par exemple dans Midnight sun, dont les paroles sont de Johnny Mercer, où, tout à fait franchement, on se croirait dans un karaoké. L’intonation très personnelle de la chanteuse demande un certain degré de tolérance à l’auditeur. Une autre de ses faiblesses est de se baser sur son propre répertoire fait de chansonnettes racoleuses qui tendent toutes à se ressembler. La force indéniable de Wholly Earth, comme dans la plupart de ses albums, réside dans ses musiciens. L’accompagnement de Marc Cary, John Ormond et Alvester Garnett est sensible et puissant, il aurait été parfait pour Betty Carter. Et le superbe Bobby Hutcherson est la cerise sur le gâteau avec son vibraphone et son marimba qui sont des ingrédients essentiels de cet album.

Mais malgré toutes ces limitations, il faut dire qu’Abbey Lincoln a quelque chose de personnel et d’important à nous faire entendre : elle est elle-même, une chanson, c’est plus que des notes, c’est aussi la chanteuse et ce qu’elle y met. Sur ce plan, Wholly earthe est une réussite.