Avec leur précédent album, Sackloth’n’ashes, David Eugen Edwards et son groupe 16 Horsepower s’étaient attelés à une ambitieuse entreprise de destruction de tout un pan mythique de la musique américaine : folk, rock, country étaient malmenés par une orchestration riche, intelligente, une voix torturée. Sur Low estate, ils enfoncent le clou : une seule écoute suffit pour comprendre qu’on a trouvé en ce disque un compagnon de route idéal pour les longues balades désabusées aux States ; on aperçoit parfois quelque cow-boy esseulé dans un village-fantôme, mais il ne tardera pas à se faire scalper par le premier indien venu. En effet, ce n’est pas parce que 16 Horsepower utilise des instruments qui sonnent folk ou country -banjo, accordéon, violon déglingué- que sa musique est une pale imitation. Au contraire : tout en restant sur un terrain connu, il y a une telle tension, une telle colère, de telles angoisses -religieuses surtout- tout au long de cet album, qu’on en sort lessivé et presque heureux. La voix rageuse, parfois déformée, du chanteur (qui évoque celle de Nick Cave) y est bien sûr pour quelque chose dans cette impression de malaise orgasmique. Mais ce n’est pas tout : on trouvera au hasard des treize morceaux de cet album abouti et cohérent un exquis melting-pot composé de guitares saturées, de banjos pleureurs, de sons criards d’accordéons qu’on aimerait entendre plus. Encore une prouesse de John Parish, compagnon de route de PJ Harvey et producteur de ce disque. Tout ça finit par donner le morceau qu’il suffit d’écouter pour être convaincu de l’excellence du disque : For heaven’s sake est comme le résumé de Low estate, tout y est. Dites-vous donc que l’ensemble du disque est fait de la même étoffe : un bijou sombre, grinçant et ravagé, qui a très vite tendance à monopoliser les platines.