A qui s’adresse ce live de 16 Horsepower ? Aux aficionados qui ont suivi le groupe depuis le séminal Sackcloth ‘n’ ashes en 1995 ? A ceux qui n’ont jamais eu la chance de confronter l’écoute des albums du quatuor de Denver (Colorado) à la violence et la ferveur quasi mystique dégagées lors de ses apparitions scéniques ? A moins que ce disque ne soit finalement à l’intention des curieux ayant eu vent de ce groupe franco-américain, mariant à la violence punk le banjo, l’orgue de Barbarie, l’accordéon ou le bandonéon, transcendant les clichés d’une Amérique pieuse de pasteurs, d’une country pour cow-boys, dans la puissance de feu d’une guitare électrifiée ? Toujours est-il qu’on ne peut que saluer la parution d’un live plutôt qu’une quelconque compilation de raretés et autres reprises. Dans la mesure où c’est justement sur scène que 16 Horsepower révèle la démesure de sa musique.

Tout au long de Hoarse, enregistrés en 1998 à Denver (au Bluebird Theater) et à Paris (au Bataclan), s’enchaînent à bâtons rompus les titres de Sackcloth ‘n’ ashes et de Low estate (1997), -Secret South n’est sorti qu’en 2000-, ainsi que trois reprises (le classique Bad moon risin’ de Creedence Clearwater Revival, Fire spirit de Gun Club et Day of the lords de Joy Division). Le choix des reprises s’imposait ici logiquement, quand on sait l’influence qu’a exercé John Fogerty sur Jeffrey Lee Pierce et celle que ce dernier a exercé sur 16 Horsepower. Hommage à deux iconoclastes porteurs d’un renouveau de la country et du blues, dialogue entre un pieux obsédé par le diable et un endiablé de junky, que rapproch(ai)ent une même passion pour le blues et une volonté de le fusionner dans le punk.

Dès l’ouverture du concert avec American wheeze, de nombreux éléments clés du concert sont déjà réunis sur scène. Outre un son clair et puissant, il y a ce jeu fiévreux qui se reconnaît immédiatement et absorbe toute l’attention du spectateur/auditeur. L’accordéon de David Eugene Edwards se lance sans filet dans le vide : un jeu à la fois fluide et sec, assuré mais comme trop abrupt pour ne pas suggérer la tension qui pétrifie le corps d’Edwards. Et lorsque sa voix de prêcheur de malheurs se met à vibrer et libérer ses obsessions de rédemption impossible, le morceau se pare d’une puissance visuelle : on s’imagine sans peine les convulsions d’un accordéon entre les mains expertes d’un Edwards chauffé à blanc, figé sur son tabouret en bois, le visage tétanisé, le regard halluciné et perdu.

A l’exception des deux airs rythmés de country banjo (Black soul choir et Black lung), opportunément programmés pour apaiser la salle, ou encore du bon gros rock de Fire spirit (forcément, Bertrand Cantat est là), le reste du concert parvient à décliner différentes combinaisons improbables entre instruments traditionnels et fée électricité. Le résultat est une atmosphère noire, oppressante, violente et religieuse. Car ce qu’aucun concert de black metal/doom/etc. ne parviendra à approcher, c’est la signification de ce petit mot anglais sans équivalent en français et qui décrit si bien le sentiment que suscite la musique de 16 Horsepower : « awe », c’est-à-dire un mélange d’effroi et d’admiration, une crainte révérencielle. Dans cette veine, on restera aphone devant la majesté écrasante de Low estate ou de Horse dead. On sera sonné par la férocité de For heaven’s sake, quinze fois plus méchant que sur l’album.
Peu importe le public auquel s’adresse Hoarse : ce live brut(al) et pas chiadé pour un sou, confortera, enthousiasmera ou rendra impatient, mais ne décevra personne.