Bienvenue dans le quotidien même pas déprimant des bourgeois énarques et de gauche ! Avocat, Roger Luzac a environ trente ans ; pas mal de sa personne, il a plutôt réussi dans la vie, mais a trop plaidé dans les affaires matrimoniales pour penser qu’entre un homme et une femme, il puisse y avoir autre chose qu’une histoire d’intérêts. Résultat : il est célibataire. Il va à des dîners chiants, fréquente les cercles socialistes où il fait fantasmer les jeunes femmes politiques. Un beau jour, en pleine guerre du Golfe, marchant dans la rue après avoir descendu ses poubelles, maître Luzac heurte un inconnu. Rencontre amoureuse ? Presque : Stéphane Mirabeau est plus jeune que lui, regard clair, sûr de lui. C’est un jeune loup de la musique baroque. Ils dînent ensemble et se revoient. Stéphane fascine Roger qui fascine Stéphane, mais attention, on n’est pas chez Dustan. Pas de fist-fucking dans une back-room du Marais. Pas d’inhalation de poppers dans un studio désert de radio FG. Plutôt une choucroute royale chez Lipp avec une bouteille de gewurzt, une balade méditative à Port-Royal-des-Champs en Golf GTI noire deux portes pour en conclure qu’il faut « vivre au cœur de notre propre temps, et tout entiers présents au monde », et un week-end à Sète en vue de réciter devant la tombe de Valéry quelques strophes du Cimetière marin dans la traduction espagnole d’Arturo Salinas Martinez éditée à Monterrey au Mexique en 1975. On a les repères qu’on a.

Et là, à Sète, tout se complique à cause d’une femme nommée Laetitia, qui, contrairement aux lois de l’étymologie, n’amènera pas avec elle la joie, mais plutôt la tempête. Laetitia est forcément la petite amie de Stéphane, qui n’est pas du tout homosexuel, et Roger, à qui aucune femme ne plaisait, défaille devant Laetitia, se met à l’espionner, à la suivre, alors qu’on est en plein dans la guerre du Golfe et que Roger devrait s’y consacrer ! Comble du comble dans ce milieu d’énarques et d’agrégés, Roger, comme Castro en 1959, renonce à se laver et à se raser pour protester sourdement contre Laetitia, qui lui résiste…

Ce petit livre a beaucoup de charme. Pas assez sérieux -et on l’en félicite- pour jouer le rôle d’un Montherlant modern-style ou du Houellebecq de la gauche caviar, Xavier Patier tourne constamment en dérision un monde auquel on devine bien qu’il appartient : entre le jeune musicien enfant gâté de la critique, caractériel et faussement iconoclaste, se jouant la comédie de la débauche avec une femme de haut fonctionnaire abonnée à Elle et organisant des dîners à thème avec des secrétaires d’Etat, et l’avocat blasé mais voulant aimer quand même, jouant aux Gandhi de la protestation muette au mépris des grandes causes de l’histoire moderne (la guerre du Golfe), et dont le pétage de plombs se réduit à un refus de la douche et à une lecture du Figaro (alors qu’il est socialiste), tout ça parce que la taille du journal lui permet d’espionner une jeune femme bien sous tous rapports et qui assure en Rodier, on sourit souvent. Un sens de la formule certain (« Elle voulait devenir comédienne la plupart du temps, surtout le soir, et journaliste certains jours, plutôt le matin ») tempère heureusement quelques notations un peu niaises : « Il parcourut des éditoriaux de Max Clos et d’Alain Peyrefitte, et il fut surpris qu’il existât aussi une intelligence de droite, aussi affûtée, aussi séduisante, aussi méchante, et à l’occasion aussi moralisatrice que l’intelligence de gauche ». Reste un petit roman facilement avalé et délicieusement réactionnaire, dont le happy end nous montre que, comme toujours, ce sont les gentils qui gagnent à la fin.