Peu d’écrivains parviennent à alterner en toute élégance récits de tranchées et intrigues policières : le romancier belge Xavier Hanotte en fait partie. Le plus étonnant est qu’il passe d’un registre à l’autre sans forcer le trait ni retourner sa veste, semblant tout simplement changer de main : la main gauche pour le polar (genre où la maladresse a en général vite tendance à passer pour de l’humour), la droite pour le récit de guerre (qui pardonne beaucoup moins en matière d’invraisemblance historique). Cet écart de style fait le charme de ce recueil qui réconcilie en outre, sur un plan formel cette fois, les nouvelles et les romans brefs (ou novelette) qui le composent. Autant de pièces et de commandes indépendantes qui n’étaient pas destinées à constituer ce patchwork mais qui, comme le rappelle l’auteur en fin de lecture, s’ajustaient si bien les unes aux autres qu’elles sont venues former après coup une sorte de trilogie temporelle. Placé en ouverture de la première session des « Temps enfuis », le bref récit éponyme, « L’architecte du désastre » (inspiré d’un fait historique), surprend par sa maîtrise des ambiances et des silences. Un ex-architecte devenu officier de la Wehrmacht s’y retrouve missionné pour dynamiter un mémorial belge trop gênant pour les nazis. Derrière l’absurdité de la tâche, rehaussée par un humour sec et pince-sans-rire qui désamorce le culte de la hiérarchie militaire, perce la nostalgie lancinante de l’amour perdu.

Côté polar comme côté bataillons, il faut dire que l’auteur n’est pas un novice. Dans Derrière la colline, où Hanotte explorait la confusion identitaire d’un survivant de la Première Guerre Mondiale confondu avec l’un de ses compatriotes, le spleen amoureux faisait déjà office de carburant narratif. Deux ans plus tard, sous les mêmes auspices guerriers, le romancier récidivait avec Les Lieux communs, une belle plongée dans les couches inférieures de la mémoire qui offrait aussi son lot de chant désespéré. Ce nouveau recueil ajoute donc quelques pierres à un édifice romanesque déjà bien compact. La surprise, c’est qu’il marque le retour de l’inspecteur Barthélemy Dussert, double fictif de l’auteur, dont la silhouette taciturne resurgit au détour d’une saynète nocturne qui tourne mal. Lui aussi traînait déjà cette même nostalgie dans les deux principales constructions policières de Xavier Hanotte, Manière noire et De secrètes injustices. D’autres nouvelles, parues à l’origine dans des recueils collectifs, s’avèrent plus mineures (« Sauce chasseur ») mais rarement dénuées d’intérêt. Toutes sont traversées par une fascination pour la sensibilité architecturale, les cimetières militaires (« Près des fleuves de Babylone ») ou les réminiscences d’enfance. L’exception ? Un texte tiré d’un recueil de traductions qu’il a consacré au poète anglais Wilfred Owen (1893-1918) et qui, si l’on s’y réfère, nous apprend que Hanotte l’a réalisé « avec la collaboration de Barthélemy Dussert »… Encore lui. Déjà traducteur des néerlandais Hubert Lampo, Ward Ruyslinck et Gilbert Grauws, le polyglotte Hanotte planche d’ailleurs sur la création d’une Maison Wilfried Owen en Belgique. Si c’est Barthélemy Dussert qui fait un jour les visites guidées, prévenez-nous. Il y aura de quoi s’inquiéter.