Motel life, son premier roman paru en 2006, a demblée imposé Willy Vlautin comme l’un des écrivains notables de sa génération (il est né en 1967, et s’est auparavant fait connaître comme chanteur du groupe de folk-rock Richmond Fontaine), dans la catégorie (difficile car peuplée) des réalistes, héritiers plus ou moins directs de Carver, peintres de l’Amérique den bas et des déboires de la classe populaire. Célébré par la critique et salué par des plumes de haut vol comme l’écossais John Burnside, Motel life connaît aujourdhui la consécration à travers un projet d’adaptation par Guillermo Arriaga, le scénariste d’Alejandro González Iñárritu (21 grammes, Babel). Publié deux ans plus tard, Plein nord confirme l’attachement de Vlautin au registre de Motel life et, surtout, son talent : entre autres parrainages de haut vol, c’est cette fois George Pelecanos qui loue la « sincérité sans artifice » et « l’humanité profonde » d’un roman tragique et lumineux, à la tristesse poignante, mais porté par une sorte d’optimisme pudique qui l’empêche de sombrer dans le pathos.

Plein nord raconte quelques mois de la vie d’Allison, 22 ans, pauvre fille paumée, sans diplôme malgré ses talents (sa mère, divorcée, na jamais veillé sur son assiduité au lycée), flanquée dun boyfriend minable, accroc au speed et cogneur nommé Johnny. On est à Las Vegas, Nevada, pas très haut dans l’échelle sociale : petits jobs, alcool, salaires plafonnés, racisme ordinaire. Un temps acoquiné avec une bande de skinheads suprématistes, Johnny n’a rien trouvé de mieux que de profiter dune beuverie pour offrir à Allison un tatouage au creux des reins : une croix gammée doublée du logo dune secte extrémiste. « Je regrette, vraiment, dit-il. Je paierai pour qu’on te l’enlève. Je suis tellement con, des fois ». De fêtes foireuses en soirées tristes, Allison cumule les cuites et les pertes de mémoire, jusquà toucher le fond, honteuse. Elle décide de fuir, rassemble ses économies et part se cacher à Reno, à quelques centaines de kilomètres. Là, dans un studio miteux, elle tente de se reconstruire une vie : un job nocturne dans un restaurant, un autre dans un centre d’appels téléphoniques, et surtout le fantasmatique Paul Newman qui lui apparaît régulièrement en rêve pour la réconforter…

Plein nord (titre issu des projets de Johnny pour la récupérer : « tirer un trait plein Nord », quitter le Nevada pour le Montana) évite tous les écueils que pourrait faire craindre son intrigue, sans complaisance dans le scabreux (malgré les crises de larmes et les nausées qui émaillent la trajectoire de l’héroïne). Sur sa route, Allison croise du reste deux personnages secondaires qui, eux-mêmes Américains cassés, la tirent du caniveau et l’aident à se relever : Penny, son employeuse au centre d’appel, divorcée obèse et généreuse, et Dan, client du restaurant, concierge au grand coeur, brisé par une agression où il a perdu un doigt. Une galerie de personnages grâce à quoi Vlautin offre une belle peinture de l’Amérique des déclassés, en insistant sur les enseignes qui constituent les repères de son monde urbain et monotone : Flying J (stations-essence), Burger King, KFC, Jimboys Tacos, Baskin Robbins (crèmes glacées)… Répétées au fil des pages, ces références au paysage commercial US trouvent leur explication dans la scène finale où le roman, par la voix du brave Dan, révèle sa dimension de critique sociale : « On dirait qu’on ne construit plus que des centres commerciaux sur le Strip de nos jours, et qu’on abat les beaux immeubles en brique, tous les monuments qui rappellent ce qu’était le passé. Je crois bien que personne n’en a plus rien à faire du passé, de nos jours. Si ça se trouve, les seules racines qui restent aux gens, ce sont les grandes chaînes de fast-food et de supermarchés ».