Romancier occulte des délires les plus paranoïaques, William Burroughs est aussi un essayiste des plus recherchés. Alors que sa production romanesque a toujours su gagner le relatif intérêt d’un public en marge, ses essais critiques ont eu une répercussion publique beaucoup moins importante. Il s’en est pourtant ensuivi pour certains de ces textes critiques une relative mythification, portant ces bribes plus ou moins cohérentes au statut d’objet culturel des plus cultissimes. Révolution électronique est un de ceux-là. Tout d’abord publié à l’aube des années soixante-dix sous le titre original d’Electronic Guerilla, ce texte se proposait de faire des techniques de création romancières burroughsiennes des armes de guerre urbaine. Sorte de proclamation d’indépendance textuelle que ce brûlot aux allures de manifeste. Burroughs y pose ainsi les pierres angulaires de ses réactions à un système dirigiste étouffant : la médication, le cut-up, le chaos organique et électronique sont autant de moyens personnls pour faire face à un système de société aliénant. Dans ses Essais parus l’an dernier chez Christian Bourgois, on découvrait un romancier préoccupé essentiellement par la perception du réel et par sa retranscription dans un univers figé de papier. Faisant suite à ces deux recueils, Révolution électronique ressortit davantage au sociétal qu’au littéraire. Les réflexions portent bien plus en effet sur la création en général, sur la résistance individualiste, que sur l’exposition dogmatique d’un procédé d’écriture ou, pis, du rôle et du portrait de l’artiste (« en jeune homme »).

Au sein de ces textes denses et stratifiés, divers sujets à l’actualité encore brûlante : le codage et le brouillage informatif, l’intoxication par la propagande étatique, le virus comme exemple de propagation entropique, les phénomènes de masse, le texte ADN. Même si le traitement de ces sujets peut prêter à sourire tant l’approche paraît parfois délibérément libertaire et hallucinatoire, on ne peut occulter l’aspect unique et anticipatoire des préoccupations de Burroughs. Ces textes en marge et en opposition à la plupart des schémas critiques en vogue peuvent tout à la fois être perçus comme des traits luminescents ou comme un bric-à-brac ressemblant à la boîte à outils théorique du petit cyberpunk en devenir. Burroughs nous laisse donc avec un sentiment mitigé : a-t-on affaire à un délire hallucinogène sans beaucoup plus d’intérêt que la plupart des productions critiques de la Beat Generation ? Nous révèle-t-il, au contraire, nos grands schémas systémiques coercitifs et aliénants ? Une chose reste évidente au-delà de ce magma conceptuel : Burroughs, pape bien malgré lui de générations underground à venir, prouve une fois de plus le pouvoir créatif décalé de sa paranoïa galopante.