Il a voulu l’Amérique : il l’a eue. C’est au milieu des années quatre-vingt, après l’immense succès de ses deux romans Comme neige au soleil et Nouvelles confessions, que William Boyd prend l’avion et s’envole vers de nouveaux succès, de l’autre côté de l’Atlantique. L’Anglais n’est plus ici sous les tropiques mais expérimente une tout autre sorte d’exotisme, quelque part au milieu des gratte-ciel : c’est donc en quelque sorte le récit de sa douloureuse acclimatation à l’air du temps yankee qu’il donne dans cette pochade burlesque publiée en 1984 (et traduite deux ans plus tard chez Balland). Son alter ego romanesque au pays du burger / frites s’appelle Henderson Dores, sujet britannique expatrié en plein Manhattan, où il gagne d’ailleurs très correctement sa vie dans un prestigieux cabinet de commissaires-priseurs. Timide, maladroit, divorcé mais pas encore tout à fait désespéré, il a fui l’Angleterre comme on fuit sa famille : plus qu’une patrie, c’est une culture, un art de vivre et un caractère national qu’il a voulu laisser derrière lui, en pensant trouver à New York, dans le pays où tout est possible, les ressources d’une réalisation radicale de lui-même. L’Amérique, elle, ne l’entend cependant pas de cette oreille : rien de moins facile que l’intégration. La mission d’expertise que lui confient ses employeurs, chez un vieux propriétaire bourgeois du Sud profond (dans un patelin paumé à quelques encablures d’Atlanta), lui fera comprendre qu’il est encore, toujours et irrémédiablement à côté de la plaque.

Le voilà donc parti, en compagnie d’une affriolante Lolita tout juste pubère (la fille de son ex-épouse, avec laquelle il projette de se remarier un jour), pour évaluer la collection artistique d’un millionnaire excentrique dont l’entourage se liguera pour lui mener la vie dure. Successivement victime de l’anglophobie d’un fils aîné brutal et de l’ironie d’une fille inquiétante, Dores se retrouve prisonnier de l’affolante demeure et passe de déconvenues en complications insensées au fur et à mesure de ses déboires avec ceux qui l’habitent. Enfilade de situations grotesques et d’événements invraisemblables, cette comédie rythmée est avant tout l’occasion pour le facétieux William Boyd de dépeindre les us et coutumes curieux du bon peuple d’Amérique à travers le regard effaré d’un antihéros british jusqu’à la caricature. Las : le roman, à part une indéniable énergie, n’a pas grand-chose à offrir. Si quelques effets de manche et remarques touchant au but viennent rattraper le fiasco d’une série de gags foireux, la plupart de ses traits d’esprit tombent à la flotte en laissant nue la vacuité d’une intrigue linéaire qui, de toutes façons, n’a manifestement pas été conçue pour former le principal intérêt du texte. Deux ou trois blagues scatologiques n’y font rien : l’appétit fébrile des premiers chapitres laisse finalement place à un intérêt poli pour les tribulations de notre expert en tableaux puis, après deux cents pages de comédie à grosses ficelles, à un relatif ennui. Les meilleurs domaines ont aussi leurs mauvaises années.