« Dans l’esprit de l’Européen, dépoétisé par la platitude des idéaux de notre époque, perverti par la fièvre des affaires, il y a longtemps que les cultes ne s’épanouissent plus. » Cette phrase a été écrite à l’aube du siècle, à Kôbé, par Wenceslau de Moraes, écrivain et diplomate portugais, tombé amoureux du Japon au point de s’y installer et d’épouser une jeune geisha. « C’est sortir d’une caverne et entrer dans un jardin », écrit-il pour expliquer son installation dans l’Empire du Soleil Levant. Le Culte du thé prévient les hommes du XXe siècle naissant : l’infusion orientale ne doit pas être un « simple prétexte à des réunions vulgaires, à de vaines conversations, mais la boisson de la communion fraternelle, le compagnon inséparable de l’ouvrier et de l’artiste dans leurs tâches. » Moraes oppose la délicatesse avec laquelle, dans les foyers paysans japonais, les feuilles de thé sont triées, échaudées, mises à sécher, enroulées ou réduites en poudre, et la rudesse de l’industrie théière « yankee », alors en plein développement. « A New York ou Chicago, des cheminées fument et des engrenages grincent ; on emploie un monde féminin innommable, rebut des villes, en guenilles, pouilleux, que l’on voit sortir des usines en fin d’après-midi comme une horde de mendiantes, pleines de poussière, de pustules, de misère. »
Quant au culte lui même, on apprend que la théière doit être accompagnée de cinq tasses de porcelaine (comme les doigts de la main), qu’on doit immerger le thé dans une eau qui ne bout plus, et que la mousmé, « la plus féminine de toutes les Eve de ce monde », le prépare à genoux sur une natte. Le breuvage doit être servi sans lait ni sucre : c’est une boisson pure, faite pour les rêveurs : « La sensation aigre-douce, délicieuse, qui reste sur nos lèvres, persiste comme une réminiscence, un regret. » La lecture de ce petit ouvrage, agrémenté des illustrations de l’édition originale de Kôbé, est un moment de nostalgie recommandé aux buveurs de café.