En huit nouvelles, Alan Heathcock dresse le portrait d’un village à la violence sourde et prégnante. La souffrance semble peser sur cette petite population comme si elle était consubstantielle à son existence ; la mort, la violence surgissent à chaque phrase. Un homme a tué son fils accidentellement avec son tracteur. L’autre a tué un homme au cours d’une querelle sur la route, puis a tenté de le brûler. Les coups partent, impromptu. On cogne, sans savoir pourquoi. C’est la vie… Impossible de réfréner ses pulsions. On a tué, on ne sait pas comment ni pourquoi. Puis on se dégoûte soi-même. « On est ce qu’on fait », dit un personnage dans « Fumée ». Des questions surgissent : la culpabilité, la responsabilité. La religion, sous la figure d’un pasteur, atténue la peine, et montre que le pardon, même dans le pire des cas, est toujours là pour racheter une défaillance commise inconsciemment. Les pécheurs pleurent, car le monde n’est pas aussi dur qu’il y paraît. L’homme n’est pas entièrement mauvais et, lorsqu’il agit mal, il le sait.

Le lieu même, étouffant, semble être la source du mal. Ses habitants peinent à s’exprimer comme ils le voudraient. «  Si je pouvais prendre ma cervelle et te la mettre dans la tête, dit Winslow. Juste un instant. Tu saurais tout ce que j’arrive pas à dire ». Les protagonistes semblent mus par quelque chose qu’ils ne comprennent pas. Mais « Partir ou rester, c’est du pareil au même ». Ce n’est pas l’espace rural qui est en cause mais la vie, telle qu’elle est. La vie n’est que souffrance, et ne sera toujours que souffrance : on se demande pourquoi Heathcock a choisi un village pour énoncer cette loi universelle. Peut-être la brutalité de la vie est-elle plus palpable à la campagne ; peut-être cherchait-il un lieu atemporel, proche de la nature, un monde des origines… La vie brutale des personnages est néanmoins comme balancée par une langue pleine de poésie, qui n’est pas sans rappeler Faulkner. On se laisse séduire par cette atmosphère étrange, suffocante, presque sauvage.