Vita Sackville-West est morte en 1962, à soixante-dix ans, un an après avoir publié ce dernier roman : No Signposts in the Sea. La même année, Nadine Korobetsky le traduisait en français chez Stock, sous le titre Escales sans nom. Plus d’un demi-siècle plus tard, la même Nadine Korobetsky remet la main à la pâte avec cette nouvelle version, sous un nouveau titre, pour les éditions Autrement qui s’emploient depuis 2005 à éditer ou rééditer les livres de cette figure de l’Angleterre Belle-Epoque, membre fantasque mais un peu oubliée du groupe de Bloomsbury. On évoque souvent ses liaisons passionnées avec Virginia Woolf et Violet Trefusis, ou les magnifiques jardins qu’elle a aménagés à Sissinghurst, dans le Kent, sur la vaste propriété de son mari Harold Nicolson (ses livres sur le jardinage sont célèbres) ; mais son œuvre romanesque mérite de n’être pas négligée, et une communauté d’amateurs la fait ressortir de l’ombre aujourd’hui, en Angleterre comme en France.

La Traversée amoureuse raconte, à la première personne, la croisière d’Edward Carr, célèbre éditorialiste de la presse anglaise, à bord d’un paquebot. Il a tout plaqué – son métier, son appartement londonien – pour s’offrir ces vacances et, surtout, pour suivre la belle Laura, veuve, de dix ans sa cadette, à qui il n’ose déclarer sa flamme. Ce voyage est aussi pour lui l’occasion de se retrouver lui-même, au seuil de mourir, car une maladie le ronge, qui peut l’emporter d’un jour à l’autre… Dans l’ambiance confinée, luxueuse et désuète du navire, un jeu de séduction hésitant se noue entre Edward et Laura, le premier ignorant si la seconde a compris son inclination, et jalousant terriblement le colonel Dalrymple qui rôde autour d’elle. « Je m’aperçois que mon moral remonte ou retombe de la manière la plus insolite : une demi-heure passée avec elle, et je suis presque content ; puis je la vois avec le colonel, et le sombre manteau du désespoir descend à nouveau sur moi ».

La romance sur mer, artistement menée, n’est au fond pas l’essentiel du livre : son vrai charme tient dans la mélancolie des méditations du héros au bord de mourir, ou plus exactement dans la conflagration entre son cheminement vers la mort, si triste et si poignant, et son hésitation presque adolescente à se déclarer enfin à Laura, dont il ne voit pas qu’elle l’aime aussi. Comme si sur ce bateau perdu dans l’océan, qui à chaque instant l’éloigne un peu plus de sa vie passée, se mélangeaient la douleur des derniers jours et la lumière fragile d’une première fois.