« Ce conte n’est ni savant ni sérieux, et n’a pas d’autre ambition que celle de distraire. » On n’y croyait plus. Après tant d’œuvres nombrilistes, où chaque petit écrivain nous livre la quintessence de sa petite débauche, tant de livres microscopiques et pourtant enflés où le lecteur finit, dès la cinquantième page, par s’ennuyer plus que ferme, on aime qu’un écrivain affiche ce genre de credo, qui n’est qu’en apparence un manque d’ambition.
Après avoir commis trois livres pour enfants, Vincent de Swarte s’était tourné vers le côté obscur de la force. Dans Pharricide, il bâtissait jour après jour le journal d’un gardien de phare qui empaillait à ses heures perdues poissons, crustacés et touristes en lune de miel. Le roman n’avait pas que le titre de beau. Dans Requiem pour un sauvage, il élaborait un conte cruel, revisitait le mythe du bon sauvage, la grotte de Lascaux et les châteaux cathares pour finir englué au milieu des sables des croisades. Dans les deux cas, le lecteur avait droit à la même écriture aiguë, à un style qui faisait mouche à chaque fois par sa précision et son manque total de douceur. La fin, toute en apaisement, nous décevait pourtant un peu après les flamboiements apocalyptiques de Pharricide, mais l’ensemble tenait encore sacrément le coup, et le lecteur devait longtemps se souvenir des effluves salées du sexe d’une prostituée initiatrice ou du parfum âcre d’un sang généreux répandu sur le dallage froid d’un donjon.

Avec La Chapelle aux oiseaux, Swarte semble revenir à ses premières amours, celui du conte pour enfants. Mais loin de cracher sur son thème favori, les êtres contre-nature, il s’attaque au premier d’entre eux, fils d’un dieu et d’une vierge, le petit Jésus en personne, et se livre à une interprétation très libre de la Nativité. Au fond de la crèche de Swarte, on trouvera donc tous les personnages nécessaires, jusqu’au moindre santon ahuri par la belle santé du petiot. Mais ici bien sûr, le sérieux en prend un coup, du boeuf nostalgique des corridas aux anges qui disent « putain » et s’arsouillent à l’Izarra. A force de transposer Bethléem dans les Pyrénées, la fable finit par avoir des allures de Pagnolade (à condition d’accepter un léger déplacement vers l’est), avec une Marie nue sous la cascade façon Manon des Sources, et un Joseph mateur du dimanche matin aux faux airs de Daniel Auteuil. « Quel spectacle! Sur le moment, il crut à une apparition. La belle dame prenait de l’eau au creux de ses mains et la faisait ruisseler le long de son corps, et comme dans ses jeux innocents il lui arrivait de se cambrer, Joseph ne savait pas si c’étaient ses sens ou son cœur qui lui jouaient des tours » (60-61). Il ne manque que l’accent. François d’Assise en rital magicien jouera quant à lui le Papet entremetteur sous le regard, embué d’alcool, du Très-Haut. « Ce n’est pas pécher, Seigneur, que d’aimer l’Izarra ». Le tout fait une centaine de pages, légères et pas cochonnes du tout. Vous pourrez même le lire à vos enfants. On attend cependant avec impatience qu’après Noël, Swarte revienne avec un texte exclusivement réservé aux adultes. Bonnes fêtes.